Au vu de ce premier tome,
Abymes apparaît une succulente série pleine d’inventivité concoctée par Valérie Mangin… Cette scénariste prolifique avait fortement marqué les esprit avec son premier album,
Morituri te salutant, premier opus du Fléau des dieux, version space-op de la guerre qui opposa Attila aux romains. Elle retrouve pour ce premier tome d’
Abymes son complice Griffo, Werner Goelen de son vrai nom, près de dix ans après leur excellent
Petit Miracle…
Paris 1831. Balzac travaille à ce que beaucoup considère comme son premier véritable roman,
la Peau de Chagrin pré-publié dans la Revue de Paris où officiait Amédée Pichot sous le titre
Le Suicide d’un poète (titre auquel Valérie Mangin apport un tout autre sens!). Quelle ne fut pas sa surprise de voir qu’en lieu et place du premier chapitre de son chef d’œuvre, Pichot a publié un texte anonyme le mettant en scène, lui Honoré Balzac (sans la particule!). D’abord amusé de la notoriété que peut représenter cette biographie romancée alors qu’il est à peine âgé 32 ans, il s’agace rapidement avant d’enrager de voir étaler sur la place publique ses moindres petits secrets, même celui qu’il espérait ne jamais voir remonter à la surface! Sa vie devient bien vite un enfer. Ces publications menaçant sa vie sociale et sa carrière, risquant même de le conduire en prison, il se lance alors frénétiquement dans une enquête pour trouver l’identité de ce scribouillard de l’ombre qui imite son style à la perfection pour mieux le tourner en ridicule…
Comment ne pas être happé par ce récit fantastique solidement charpenté et à la mécanique parfaitement huilée et dans lequel Valérie Mangin joue avec les affres de la création avec un plaisir et un savoir-faire évident? Cette uchronie littéraire s’avère des plus savoureuses. Tordant l’Histoire pour accentuer le romanesque de son intrigue (elle fait mourir l’académicien François Andrieux de mort violente avant 1831 alors qu’il rencontra la faucheuse en 1833, sans doute des suites du choléra), elle pose avec cet album les bases d’un triptyque envoûtant à la fois drôle et plein de mordant. Balzac est avec cet opus au bord de l’abime (
)et Dame Folie semble étendre sur lui son emprise au fil des pages. Le voir se découvrir découvrant des pans de sa vie dans la
Revue de Paris dans une mise en scène impeccable est un plaisir de gourmet…
Le dessin semi-réaliste de Griffo fait ici merveille. Son trait se fait plus souple et plus nerveux que dans certaines de ses productions. On retrouve avec plaisir tout ce qui faisait le charme de son
Monsieur Noir ou de
Petit Miracle, comme si, délivré du carcan du réalisme, il pouvait laisser s’exprimer toute sa créativité. Servi par des couleurs élégantes qui apportent à ses cases une profondeur aprpéciable, ses planches, où l’on voit peu à peu l’auteur de la Comédie Humaine perdre pied, sont remarquablement bien construites. Les gravures censées être tirées de la
Revue de Paris qui ponctuent le récit entrent en résonnance avec celui-ci, développant une mise en abyme graphique des plus savoureuses…
Ce premier tome d’
Abymes est une exquise surprise de ce début d’année. Il pose les bases d’un triptyque aussi audacieux que prometteur… Le second tome, mettant en scène le cinéaste Henri-Georges Clouzot adaptant la vie de Balzac est annoncé pour février alors qu’en mars paraîtra le troisième et dernier tome de la série, mis en image par son compagnon Denis Bajram, qui mettra en scène une certaine Valérie Mangin trouvant un album écrit par une homonyme parlant de la vie de Balzac t qui sera pour elle l’amorce du projet d’écriture d’un triptyque qui… Une mise en abyme qui donne le vertige mais qui s’annonce des plus captivantes! Un excellent album donc, pour une série qui pourrait bien devenir un chef-d’œuvre du neuvième art