Le premier cycle de la série s'achève en demi-teinte, la dernière planche faisant apparaître un insondable mystère qui pousse le lecteur à revenir quelques pages en arrière pour tenter de comprendre ce qui a pu se passer la nuit où les masques sont tombés... Mais rien n'y fait... Le mystère reste entier et laisse un peu le lecteur sur sa faim, créant un attente pour un second cycle...

Après l'horreur des tranchées, Félix est de retour chez lui et tente de réapprendre à vivre auprès de sa femme et de son fils qu'il n'a pu voir grandir... Pas facile de réapprendre à vivre quand votre miroir vous renvoie chaque jour l'horreur de la guerre. Félice est une gueule cassée depuis qu'une shrapnel a emporté la moitié de son visage qu'il cache depuis derrière un masque. Mais peu à peu, la vie reprend son cours. Son fils l'a même appelé « papa » pour la première fois et son épouse semble peu à peu se rapprocher de lui... Mais Félix cache un lourd secret qui menace d'éclater et de balayer ce bonheur naissant... Si ce n'était que cela! Le mystérieux tireur qui ne s'en prenait jusque là qu'au bétail semble désormais lui préférer les hommes, faisant sombrer les villageois un peu plus loin dans l'horreur... Comme si la camarde avait décidé de poursuivre dans ce village sa sinistre danse macabre...

Un fois de plus Laurent Galendon utilise un cadre historique précis comme décor à un drame mettant en scène des personnages profondément humains, avec leurs côtés sombres et lumineux. Pour beaucoup de «poilus», le retour à la vie civile n'a pas été sans heurts. On ne passe pas plusieurs mois dans la boue et le sang des tranchées sans remmener dans son paquetage des scories de la guerre. Certes, il y a ceux qui ne reviennent pas et auquel on dresse des monuments, mais il y a aussi ceux qui reviennent défigurés ou amputés, meurtris dans leurs chairs... et ceux qui reviennent l'âme meurtrie d'avoir laissé dans la boue des tranchée une part de leur humanité... Sans misérabilisme, Laurent Galendon esquisse avec force et justesse le portrait tout en contraste de ces hommes qui ont souffert sur le front et tentent, envers et contre tous, de croire qu'ils ont encore droit au bonheur... Son sens de la narration est une fois de plus saisissant. Ses silences en disent aussi long, si ce n'est plus, que ces dialogues finement ciselés et le trait réaliste de Daniel Alexandre (qui signe ses albums sous le pseudo de A.Dan), une fois de plus plein de pudeur et de délicatesse, porte ce récit de façon très convaincante, faisant la part belle aux émotion et à l'humanité des personnages. Le scénario, solidement charpenté de Laurent Galendon, évoque le chef d’œuvre de Daniel Vigne, le Retour de Martin Guerre, dans un tout autre contexte mais avec une force analogue.

Avec Aurélien, second opus de la série, se clôt le premier cycle d'une série ambitieuse et joliment orchestrée. Les masques tombent et si un mystère subsiste, il est difficile de rester de marbre face à ce récit poignant, qui s'inscrit en marge de l'histoire. Laurent Galendon est décidemment un formidable conteur...