L’annonce de la publication d’Elric chez Glénat fut autant une source de jubilation que d’inquiétude. Jubilation parce qu’avec Elric, se sont pour moi ouvert les portes de l’héroïque-fantasy. Découvert simultanément avec le jeu de rôle dans les années 80, j’ai d’autant plus apprécié les romans que je les ai découvert simultanément au jeu de rôle, arpentant les Jeunes Royaumes sur les traces du Loup Blanc, renforçant par la même la densité de ce formidable univers (multivers serait plus juste) esquissé par Michael Moorcock… Inquiétude parce que j’avais peur de ne pas retrouver dans cette adaptation ce qui faisait le sel de cette formidable saga amorcée il y a plus d’un demi siècle!
Mais l’inquiétude fut de courte durée. Le « casting » était en effet plus que rassurant, enthousiasmant même! Pensez-donc! Au dessin : Didier Poli (L'Enfant de l'orage, Les Seigneurs de guerre), Robin Recht (Totendom -le sublime opéra graphique inachevé à ce jour-, Julius –prequel du troisième testament- et le scénario de l’époustouflant Notre Dame, adaptation du chef d’œuvre de Victor Hugo) et Jean Bastide (dessinateur de Notre Dame, justement, mais aussi de Hugo & Iris, prequel du romantique Sambre)… De quoi mettre l’eau a la bouche de plus d’un lecteur… Au scénario, c’est rien de moins que Julien Blondel, scénariste et rôliste patenté, qui s’empare du chef d’œuvre de Moorcock pour en proposer cette nouvelle adaptation…
Elric a déjà par le passé connu plusieurs adaptation en comics, avec plus ou moins de brio. En France, seule la version de Druillet, La Saga d'Elric le Nécromancien a été un temps disponible. S’ajoute Elric, La cité qui rêve deThomas et Russell et La naissance d'un sorcier dessiné par Walter Simonson qui s’attardait sur la jeunesse du héros et Elric - l'equilibre perdu qui propose une nouvelle variation sur le concept du multivers et du Champion éternel. Mais d’une part la version de Druillet est désormais introuvable, et d’autre part, disons-le tout net, celle-ci est une véritable tuerie …
Le scénario de ce premier opus s'avère extrêmement fidèle à l’esprit des romans de Moorcock. On y retrouve cet empereur albinos érudit et maladif, presque mourant, ne restant debout que grâce aux drogues et à la magie. Héritier d’un empire plusieurs fois millénaire aux mœurs sadiques et décadentes, sa faiblesse le rend indigne du trône de rubis aux yeux de Yyrkoon, son cousin, qui le méprise et le provoque ouvertement. A mille lieux des poncifs de l'héroïc fantasy, Elric n'a rien du valeureux héros aux muscles saillants. Il en est même la parfaite antithèse. La gloire et le pouvoir ne l'intéresse en rien et ce n'est que pour retrouver sa bien-aimée cousine enlevée par Yyrkoon qu'il en appellera à Arioch, seigneur des épées, scellant son destin...
Les auteurs de cette adaptation ont réussi le tour de force de retranscrire la perversion qui règne sur Melniboné, leur orgueil démesuré et leur infini cruauté dans une ambiance tirant vers le SM ou les humains sont considérés comme des jouets par ces esthètes de la dépravation...
Le travail à six mains réalisé par les dessinateurs de cette sublime adaptation est réellement saisissant. Sur un storyboard de Robin enrichit par les co-auteurs, Didier Poli s'est chargé des crayonnés que Robin Recht a encré avec le talent qu'on lui connaît. Jean Bastide signe la (sublime) mise en couleur qu'il a voulu sombre et tourmentée, profitant de cette ultime étape pour apporter quelques modification au dessin... Ensemble, il ont crée un style graphique d'une force peu commune, donnant en quelque sorte vie à un dessinateur virtuel au talent époustouflant...
Les planches sont remarquablement construites et fourmillent de détails qui crédibilisent l'ensemble alors que le découpage de l'album s'avère quant à lui extrêmement dynamique, les auteurs n'hésitant pas à éclater les cases pour rendre leur dessin plus percutants encore.
Les décors grandioses, inspirés du gigantisme des civilisations antiques, retranscrivent superbement le glorieux passé de l'empire de Melniboné. La salle abritant le Trône de Rubis, dont l'architecture évoquent les travaux de Druillet, est en cela sublime. Les costumes s'avèrent eux aussi particulièrement convaincants, que ce soit ceux des melnibonéens, de leurs esclaves humains ou des pirates vilmiriens qui tentent d'attaquer Imrryr, la Cité qui Rêve...
Le Trône de Rubis, premier tome d'une tétralogie enthousiasmante, est un petit bijou qui contentera d'aise les amateurs d'héroïc-fantasy en général et du Cycle d'Elric en particulier, tout en permettant à certains de découvrir ce monument de l'héroïc-fantasy. La préface de Michael Moorcock, où le romancier revient sur les multiples thématiques présentes dans sa saga, est des plus passionnantes, de même que le dossier qui clos l'album et parle de la genèse de la série aussi ambitieuse que superbe. On y découvrira des de nombreuses recherches graphiques (dont celle de Stormbringer!), le tout agrémentée de textes bien sentis... Ajoutons à cela de superbes illustrations de Virginie Augustin, Aleski Briclot, Andreas, Philippe Druillet, Anthony Jean, Mathieu Laufray ou Thierry Ségur et Adrian Smith, hommage au héros albinos... un régal pour les yeux!
Gros coup de cœur de la rédaction pour ce qui s'annonce comme un chef d’œuvre du neuvième art et qui donne la furieuse envie de se replonger dans les romans, preuve s'il en est que les auteurs proposent avec cette série une vision à la fois pertinente et convaincante de l'univers de Michael Moorcock...