Lupano fait partie de ces auteurs dont on achète les albums les yeux fermés, avant de les ouvrir en grand tant il a pour habitude de travailler avec de jeunes dessinateurs aux talents saisissant. Il parvient avec maestria à développer des intrigues passionnantes en prenant le temps qu’il faut pour développer des personnages crédibles et attachants, parvenant à leur conférer une part d’humanité saisissante.
Ma révérence ne déroge pas à la règle : c’est un album fort, denses, engagé et formidablement mis en scène par un dessinateur dont le trait est d’une redoutable efficacité.
Vincent, trentenaire un brin dépressif esquisse les contours d’un nouveau genre de braquage, un braquage social, un braquage à but non lucratif. Associé à Gaby Rocket, rockeur alcoolique raciste perdu dans les années 60, il compte braquer un fourgon transportant des fonds en enlevant le fiston d’un des convoyeur mais en prévoyant de l’indemniser pour le préjudice subit…
L’histoire de l’album, c’est celle de la préparation de ce braquage atypique, mais aussi et surtout l’occasion de mettre en lumière une poignée d’hommes cabossés par la vie, méprisé par une société dans laquelle ils n’ont pas vraiment leur place… Difficile de résumer cet album dense et riche, fertile en flashback et en monologues remarquablement bien écrits. A partir de ce qui n’aurait pu n’être qu’un fait divers, Wilfrid Lupano esquisse des portraits saisissants de petites frappes, de pauvres types qui vivent en marge d’une société qui s’est depuis longtemps détourné de l’homme pour se centrer sur l’argent et la quête du profit.
L’angle narratif choisit par le scénariste, faisant de Vincent le narrateur de l’histoire, rend cette dernière particulièrement intimiste, nous faisant partager ses doutes et ses rêves avec une redoutable efficacité.
Ce récit aussi captivant que bouleversant est aussi un regard aussi lucide que tragique porté sur notre société… Mais, s’affranchissant de tous misérabilisme, l’album est aussi porteur d’espoir et d’une foi inébranlable en la capacité de l’homme à réagir, à se battre, envers et contre tous, pour préserver cette part d’humanité et de beauté sans laquelle rien n’aurait de sens… Au fil des flash-back et des rebondissements inattendus de l’intrigue, les auteurs parviennent à brosser des portraits touchants et saisissants de leurs personnages, révélant les fêlures et blessures qui les ont emmenés à être ce qu’ils sont et montrant surtout que même le pire des connards peut être capable du meilleur…
Cette histoire intimiste est servie par des dialogues tirés au cordeau et un dessin de haute tenue, tout en sobriété et en efficacité. Le sens du mouvement de Rodguen est tout juste bluffant et ses personnages, extrêmement expressifs, particulièrement convaincants… Cet album révèle le talent d’un dessinateur dont on devrait entendre reparler…
Alors que certaines scènes sont absolument irrésistibles (celles de la chèvre dans la baignoire fera date) d’autres, particulièrement poignantes, vous bouleversent littéralement. La palette des émotions par lesquelles les auteurs font passer le lecteur s’avère extrêmement large, nous remuant comme peu d’albums peuvent le faire.
Ma révérence est un récit bouleversant d'authenticité magistralement orchestré qui met en scène des personnages profondément humains. C’est incontestablement l’une des plus belles surprises de cette rentrée littéraire, un album à lire, relire, faire lire… un pur chef d’œuvre.