Avec Tel est vu qui croyait voir, Olivier Jouvray et Frederik Salsedo achèvent leur anticipation glaçante d’un monde placé sous surveillance…

Deux années se sont écoulées depuis que Francis est devenu le cerveau qui gère les yeux qui surveillent activement la population. Les Invisibles ne sont plus qu’un lointain souvenir. Mais s’il a éliminé les témoins gênants de son irrésistible ascension mais un grain de sable vient gripper cette formidable mécanique de surveillance et de traitement de l’information. Jensen, son ancien compagnon de lutte, qui sait à quel prix Francis est devenu ce qu’il est, refait surface et compte bien dévoiler son odieuse trahison. Il va révéler à Laurette et Adil l’ampleur des manipulations de leur père afin de le pousser à réagir, de le mettre face à ses fautes présentes et passées… La rencontre ne se fera pas sans heurts…

Le scénario tissé par Olivier Jouvray au fil des trois tomes tient toutes ses promesses. Mêlant inextricablement le destin d’une famille à celui d’une société, il a concocté une histoire dense et complexe qui pose en filigrane la question des libertés individuelles peu à peu bafouées au nom de la sécurité à outrance. La société aseptisée, froide et déshumanisée qu’il dépeint est d’autant plus inquiétante qu’il suffit de déplacer un peu les curseurs qui régissent la nôtre pour lui donner naissance…

Le dessin semi-réaliste de Frederik Salsedo tranche avec celui qu’on lui connaissait dans le jubilatoire Ratafia ou dans Nous ne serons jamais des héros, à croire que le jeune dessinateur soit désireux de se renouveler à chaque nouvel album. Son trait se fait plus épuré, plus froid aussi peut-être, comme pour souligner cette société déshumanisée qui s’est peu à peu installée au fil du temps dans cet avenir si proche de nous… On pourra regretter que les hachures qui conféraient cette « matière » si caractéristique aux planches du premier tome aient peu à peu la place à des aplats, mais l’ensemble est des plus honorables et le style adopté par l’auteur et son coloriste porte cette histoire avec efficacité…

La trilogie du Royaume des aveugles esquisse un futur des plus inquiétants en démontant les différents rouages d’un pouvoir qui puise sa force dans la surveillance exacerbée des citoyens sous un vernis sécuritaire. l’histoire familiale torturée qui sert de fil rouge au récit permet aux auteurs d’explorer cet univers pétri de contradictions à hauteur d’homme, lui conférant une crédibilité et un impact accru…