L’Aliéniste est l’adaptation BD d’un classique de la littérature brésilienne, la nouvelle éponyme de Joaquim Maria Machado de Assis. Ecrite en 1881, elle s’avère être d’une étonnante modernité, portant un regard critique empreint de cynisme et d’humour sur les dogmes scientifiques érigés en vérité absolue.

Simon Bacamarte est un aliéniste réputé. Il s’installe dans la paisible bourgade de d’Itaguaï pour y fonder un asile destiné à étudier la folie pour repousser la frontière séparant les aliénés des saint d’esprit… Il travaille à l’établissement d’un classement visant à définir les différentes formes de folie. Peu à peu, son emprise sur la population s’accroît et il fait interner à tour de bras les concitoyens montrant de subtils signes de démences… Au bout d’un moment, la majorité de la ville se trouve être internée, provoquant la colère de citoyen conscient des dérives du docteur… Une question se pose : soigne-t-il la folie, la fabrique-t-elle ou n’a-t-il pas lui aussi ouvert sa porte à Dame Folie?

L’adaptation de la nouvelle de Machado de Assis était incontestablement une gageure mais les deux auteurs s’en sont tiré haut la main. Avec un découpage exemplaire, un dessin délicieusement désuet, le lecteur est happé par ce récit jubilatoire plein de mordant. Le trait semi-réaliste de Fábio Moon et son lavis discret ancre le récit dans son époque de façon remarquable. Sa maîtrise de la narration force le respect et il dit en une case muette plus que d’autre en une planche… La scène où la cousine de Costa vient trouver Simon Bacamarte pour défendre son cousin récemment interné est un petit bijou de construction, de non-dits et d’efficacité…
Malgré son origine littéraire et de long (et passionnants !) récitatifs, l’histoire, parfaitement rythmée, est d’une appréciable fluidité. Le retournement de l’intrigue est un plaisir de gourmet qui pose de nombreuses questions… Si la folie c’est être en dehors de la norme, dans un monde où la majorité des citoyens souffrent de démence, les gens sains d’esprit ne peuvent-ils pas être considéré comme fous et être dès lors internés?

Le duo de Daytripper (couronné du prestigieux prix Eisner du scénario en 2011) se reforme pour une adaptation de haute tenue drôle et délicieusement cynique. Publié en 2007, cette traduction française, de grande qualité, permet aux lecteurs francophones de découvrir cette fable cruelle et pertinente, remarquablement moderne, sur la folie… D’une ironie discrète mais pour le moins incisive, elle se lit avec délectation…