Après Holmes (évidemment), Moriarty, les gosses des rues de Londres, voici que le Dr Watson, éternelle ombre de Sherlock, devient le héros d’une série dérivée de l’univers holmésien. Il n’y aura bientôt plus guère que Mrs Hudson qui n’aura pas eu les honneurs d’une série… Mais quand un spin-off commence avec un album de cette qualité, on ne s’en plaindra pas…
L’album s’ouvre sur la scène qui amorce le Grand Hiatus, moment clef des aventures de Holmes où l’auteur, Sir Arthur Conan Doyle, décide de se débarrasser de son trop encombrant héros en le faisant disparaître dans les chutes de Reichenbach après son ultime combat contre le Napoléon du crime, le professeur Moriarty… Le Dr Watson a bien du mal à faire le deuil de son grand ami et sombre à son tour dans la drogue et la mélancolie, au grand désespoir de son épouse… Mais les hommes du défunt Moriarty semblent bien décidés à poursuivre leurs condamnables agissements et une sombre machination s’ourdit dans l’ombre… Le sage Docteur Watson est-il en train de sombrer dans la folie de ses délires paranoïaques ou Moriarty continue-t-il réellement à œuvrer pour nuire à son meilleur ennemi, même au-delà de la mort ?
La structure narrative du récit de Stéphane Betbeder est d’une implacable efficacité. Les scènes où Watson lutte contre la mort, enfermé dans une geôle jonchées des os blanchis de cadavres humains qui ponctuent l’histoire proprement dite, où le biographe du célèbre détective mène l’enquête en suivant au mieux les préceptes de Holmes, impulsent un rythme soutenu à l’histoire, captivant le lecteur dès les premières scènes pour ne plus le lâcher, malgré les digressions étrangement fantastiques que semble emprunter le scénario…
Le cliffhanger final confère au récit une dimension pour le moins surprenante, laissant notre héros sur une impression vertigineusement déstabilisante, tant pour lui que pour le lecteur… Où s’arrêtent les hallucinations et où commence la réalité? La série se refermera-t-elle avec la fin du Grand Hiatus, donnant une nouvelle interprétation de la disparition du détective, ou sera-t-elle uchronie fictionnelle s’ouvrant sur tous les possibles? Autant de questions auxquelles le second tome apportera n’en doutons pas les réponses…
Le travail graphique du dessinateur serbe Darko Perovic, dont on avait apprécié le trait nerveux et expressif sur Alamo, est d’une grande finesse. Ses cadrages, éminemment cinématographiques servent au mieux l’action et composent une époque victorienne des plus crédibles. Les scènes où l’on retrouve Watson livré à lui-même dans une geôle des plus inquiétantes sont particulièrement réussies et oppressantes.
Après son audacieux Dorian Gray, Stéphane Betbeder signe avec ce Grand Hiatus un premier tome des plus prometteurs qui immerge le lecteur avec délice dans cette période charnière du Grand Hiatus, source de tous les fantasmes, de l’univers holmésien… La façon dont les auteurs de la collection 1800 s’emparent des personnages tirés des classiques de la littérature du XIXième siècle n’en finit plus de nous enthousiasmer…