La bande dessinée peut-être définie comme une suite de dessins dans lesquels est inséré du texte pour raconter une histoire. Navo a décidé de s’affranchir de ce carcan étriqué pour donner naissance à la bande pas dessinée, concept novateur et pour le moins expérimental… Il a néanmoins eut l’idée ingénieuse de conserver quelques invariants de la BD, telles les cases (qui se révoltent parfois contre les bulles), sans quoi le lecteur n’aurait eu que des pages blanches à se mettre sous la dent. Et si elles sont l’angoisse de l’écrivain, elles auraient été le désespoir du lecteur ayant claqué 26 euros pour un carnet à dessin…
Voilà donc un ONDCNI (Objet Non Dessiné Clairement Non Identifié) publié par épisode sur le net il y un lustre et demi, répartis en trois tomes un peu après avant d’être réunis pour la première fois dans un gros album (augmenté de strips inédits)… Le fait est que l’auteur est doté d’une imagination fertile, caustique et débridée, voire figure (1). Ses gags en un petit strip sont d’une redoutable efficacité, à la fois drôles et irrévérencieux, et d’un délicieux mauvais goût…
Ils sont au politiquement correct ce que le nazisme fut à la tolérance. Le livre n’est clairement pas à mettre entre toutes les mains. Il est à conseiller aux plus de 18 ans, qui sont assez grands pour faire la part des choses, et aux moins de 3 ans qui ont toutes les chances, faute de savoir lire, de ne pas être traumatisés à vie par les propos de l’auteur, sauf s’ils ont participé aux manifs pour tous en beuglant des slogans homophobes. Cela dit, si vous êtes nain, scatophile, daltonien, juif et raciste, ce livre pourrait bien heurter votre sensibilité à fleur de peau… Après, c’est sûr, parfois, Navo, il va un peu loin et on hésite à se retenir de rire parce que quand même, rhôôô, quand même hein…
Même sans dessins, il esquisse une jolie galerie de personnages joyeusement barrés, tels le Docteur Johnson entre lesquels aucun malade n’aimerait tomber ou la célèbre Cynthia Loren, actrice porno dont le plus grand fan est son paternel…
L’humour gras, trash et potache distillé au fil des pages de ce pavé de pleins de pages (environ deux fois la moitié) n’est pas sans évoquer les vannes qui fusent les nutis de pleine lune vers quatre heures du mat, après une bonne partie de Kult (aucune connotation sexuelle, ou alors purement sadomaso) tant et si bien que je soupçonne l’auteur de s’être adonné plus que de raisons à cette pratique perverse (Jean-Marie A. et Mireille D. ne me donneront sans doute pas tort) qu’est le jeu de rôle et ce d’autant plus surement qu’il l’avoue à demi-mots dans une poignée de strips se comptant sur les doigts d’un samouraï ayant fauté trois fois…
Alors, c’est clair, cet homme est fou… Et on doit l’être aussi de se tordre de rire sur des blagues d’aussi mauvais goût… Concis et épurés ses strips sont clairement irrésistibles… Ca ne plaira certes pas à tout le monde mais si vous avez une attirance malsaine pour l’humour noir et l’irrévérence qui va parfois trop loin, vous passerez un bon moment avec cette première intégrale et faire le bonheur de votre psy…
Le coscénariste de l’excellente série que fut Bref signe avec cette bande non dessinée un album conceptuel et expérimental déjanté dans lequel il ne recule devant rien (et surtout pas le pire!) pour nous faire rire… Et cela fonctionne à merveille… à nos zygomatiques défendant… Il faut un sacré culot pour se lancer dans une pareille aventure et lorsqu’on parvient à tenir la longueur comme le fait Navo, ce n’est plus du culot mais du talent!