C’est avec une certaine impatience que nous attendions ce dernier polar de Stéphane Heurteau dont les œuvres précédentes nous avaient plus qu’enthousiasmés… Et le fait est que ce polar sombre et intimiste s’avère particulièrement percutant…

Lorsqu’on côtoie la lie de l’humanité durant deux décennies, cela laisse immanquablement des traces. A trop frayer avec les voyous, on finit par en adopter les méthodes. Jack Quervellat est devenu un flic borderline et violent, n’hésitant pas à user de la batte de baseball pour mener ses interrogatoires, malgré les menaces de son supérieur et le regard désapprobateur de ses collègues. Sa vie privée est partie en sucette. Il trompe sa femme avec une journaliste qui a appris lors d’une enquête que son mari avait des accointances avec la mafia bordelaise…
Mais sa vie déjà à la dérive va être bouleversée en l’espace d’une journée. Le jour où sa maîtresse lui annonce qu’elle met un terme à son histoire, il commet la bavure de trop et se retrouve mis à pied. Sa femme lui apprend alors par téléphone qu’elle le quitte et compte bien avoir la garde de leur fille… Lorsqu’il rentre chez lui passablement éméché, Jack voit sa femme au sol, mortellement blessée… Le tueur est encore là et lui loge une balle dans la tête… A l’hôpital, il apprend sa maîtresse a aussi été froidement abattue. L’enquête s’oriente vers le milieu bordelais qui voulait faire disparaitre preuves et témoins compromettants…
Après une chirurgie préparatoire qui lui laissa de graves séquelles, Jack Quervellat décide de s’exiler en Bretagne où il va vivre en quasi ermite pour tenter de commencer une autre vie… Mais lorsqu’il est témoin d’un meurtre, ses réflexes de flic reprennent le dessus. Renouant avec son passé, il va mener une dangereuse enquête pour exhumer la vérité… Mais les apparences, parfois, s’avèrent trompeuses…

Ce polar tourmenté de Stéphane Heurteau est un petit bijou de noirceur. Doté d’une structure narrative parfaitement maîtrisée qui emmène avec finesse et subtilité une fin bluffante, il ravira sans nuls doutes les amateurs de polars. Par le truchement de monologue bien sentis, il immerge le lecteur dans le récit, développant une étrange proximité avec ce policier déglingué qui tente de se reconstruire après des terribles épreuves que son inconséquence lui a fait subir… Et lorsqu’il semble avoir repris pied, voilà qu’une nouvelle affaire s’offre à lui, réveillant ses vieux démons… Ce héros tourmenté sur qui repose toute l’intrigue, s’avère attachant et tragiquement crédible…

On retrouve avec plaisir le trait élégant et si particulier de l’auteur qui joue avec les contrastes et les contre-jours pour nous livrer des planches magnifiques faisant la part belle aux paysages et aux émotions. Son découpage, très cinématographique, s’avère tout à la fois nerveux et redoutablement efficace… Quant à la couverture, en rouge et noir qui claque comme un coup de feu, elle attire immanquablement l’attention du chaland…

L’histoire, terriblement efficace, est complétée par un sympathique cahier graphique dans lequel l’auteur nous présente les coulisses de l’histoire, pour notre plus grand plaisir…

Une fois encore, on ne peut qu’être admiratif devant le travail narratif saisissant imaginé par un Stéphane Heurteau très inspiré. La (re)lecture de l’album s’avère des plus ludiques, les différentes pièces du puzzle s’assemblant parfaitement, laissant voir une histoire au-delà des apparences, souvent trompeuses…

Les amateurs de polar seront sans nuls doute conquis par ce récit audacieux porté par un dessin aussi épuré qu’élégant… Un conseil cependant : ne le feuilletez pas, lisez le!