



Julio (alias Julius) Popper fait partie de ces personnages ambigus et controversés dont les actions lui attirèrent autant de solides amitiés que de haines farouches. Aventurier dans l’âme, il a sillonné le globe, maîtrisait plusieurs langues et pratiqué bien des métiers avant de s’établir en terre de feu pour y établir son royaume. C’est la vie tumultueuse de ce personnage hors du commun que Matz (scénariste talentueux qui a notamment signé
le Tueur) et Léonard Chemineau (auteur de l’excellent
Les amis de Pancho Villa ) se proposent de nous raconter…
Ingénieur, explorateur, aventurier, fin stratège, aussi à l’aise dans les milieux huppés que chargeant sur un cheval les armes à la main, Julio Popper semble avoir eu plusieurs vie alors même qu’il est mort jeune, dans des circonstances pour le moins troubles. A force de travail et de persévérance, de discussions et de coups de forces, des salons feutrés aux terres de Pentagonie, il s’est forgé un empire, allant même jusqu’à frapper une monnaie en or pur et imprimer des timbres…

Ses photos où il posait à côté de cadavres d’Onas le firent entrer dans l’histoire comme un massacreur d’indiens. Matz nuance cette facette sombre du personnage, en faisant de ces clichés une œuvre de propagande destinée à s’attirer les bonnes grâces du pouvoir argentin et qui aurait été utilisé après sa mort pour ternir sa mémoire. N’a-t-il pas été un des premiers à proposer l’établissement de territoires protégés où les Onas pourraient vivre à l’abri des futures exactions de l’homme blanc? Difficile en l’état de savoir où se trouve la vérité. Sans doute entre les deux, entre gris clair et gris foncé… Mais le fait est que le personnage fascine et aurait toute sa place aux côtés de Corto Maltese et de Raspoutine s’il avait vécu quelques décennies de plus…
La structure narrative de l’album fait montre d’une grande maîtrise. Le passé de Julius est révélé par bride, au fil des conversations, esquissant un homme hors norme que Matz dépeint comme étant le dernier conquistador. Doté d’un sens aigu des affaires, d’une soif de découvertes, et d’une ambition démesurée, Julius Popper a tout du personnage de roman. Il fait d’ailleurs des apparitions dans d’autres albums (
Cap Horn de Perrissin et Riboldi,
les Voyages d’Esteban de Matthieu Bonhomme ou encore
Terre de Feu de David B. et Micol), des romans (
Cavalier Seul de Patricio Manns) ou des films (
Tierra del Fuego de Miguel Littin).

La couverture attire d’emblée le regard, avec ce personnage en apparence calme mais dont les yeux d’un bleu profond affichent une farouche détermination. Le dessin de Léonard Chemineau s’avère redoutablement efficace. Le travail sur les différentes ambiances du récit s’avère très réussi, retranscrivant avec justesse l’atmosphère des salons cossus de Buenos Aires à celle des plaines arides de la Terre de Feu.
Julio Popper, le dernier roi de terre de feu est un roman graphique d’aventure romanesque qui nous retrace l’incroyable itinéraire d’un homme qui fut tour à tour ingénieur, aventurier, homme d’affaire et explorateur. Un récit prenant et édifiant qui nous conte la vie d’un homme hors du commun, avec sa part d’ombre et de lumière.