Alan Turing fait partie de ces figures de l’ombre de la seconde guerre mondiale. Grâce à lui et à ses travaux sur Enigma, cette dernière a été écourtée de quelques années, économisant ainsi des milliers de vies humaines. Pourtant, malgré les services rendus au Royaume-Unis et au monde libre, il fut condamné après-guerre pour « indécence manifeste et de perversion sexuelle » du fait de son homosexualité, considérée alors comme une infraction pénale. Contraint à la castraction chimique, il se serait donné la mort, croquant une pomme empoisonnée. La légende voudrait y voir l’origine du logo des Macintosh.

Alan Turing est un rêveur qui vit dans un monde décalé, nouant difficilement des relations avec les autres. Il nourrit une passion dévorante pour les mathématiques et devin rapidement un logicien hors pair. Alors que le spectre de la guerre se fait plus prégnant, il est recruté par l’Intelligence Service pour mener un combat mathématique qui pourrait bien décider de la victoire. Son génie visionnaire lui permettent de percer les secrets jalousement gardés des codes d’Enigma, utilisée par les forces de l’Axe dans ses communications. Ce faisant, Alan Turing jette les bases de ce qui deviendra l’informatique et l’intelligence artificielle… Le 7 juin 1954, Alan Turing est retrouvé mort à son domicile, deux ans après sa condamnation… Ce n’est qu’en 2013, près de soixante ans après sa mort, qu’il sera gracié par la Reine Élisabeth II.

C’est peu dire que le scénario concocté par le romancier et scénariste Arnaud Delalande s’avère tour à tour captivant, édifiant et bouleversant. Solidement charpenté, l’album ne se contente pas de retranscrire les faits, mais nous fait entrer dans la psyché d’Alan Turing, nous permettant d’entrevoir les souffrances et les aspirations qui furent les siennes.
Avec des flashsback bien menés, il revient rapidement sur son enfance, son amitié avec l’un de ses camarades, trop tôt disparu, et la solitude qui fut sienne à cause de par sa différence… Eternel incompris, évoluant dans un univers peuplé d’êtres mathématiques, il parvint, par son audace et son travail acharné, à casser le code d’Enigma… C’est la vie tragique d’un héros de l’ombre qui nous est compté avec force et efficacité.

Éric Liberge a accompli un remarquable travail graphique sur cet album. Puisant dans son audace graphique coutumière, il met en scène avec pertinence la façon dont Turing pouvait appréhender le monde qui l’entoure, avec ces formules mathématiques et ces équations qui y évoluent, telles des créatures dotées d’une vie propre.

L’album est judicieusement complété par un dossier fort bien fait signé Bruno Fuligni (écrivain et historien) proposant une brève histoire de la cryptanalyse…

Cette biographie du génial et énigmatique Alan Turing s’avère passionnante et bouleversante. Evitant l’écueil de l’exhaustivité, Arnaud Delalande est parvenu à écrire un scénario captivant rythmé par les flashbacks et les introspections de Turing, le tout mis en image avec talent et pertinence par un Éric Liberge particulièrement inspiré. Cet album passionnant rend hommage à ce personnage longtemps méconnu du grand public alors que son œuvre a bouleverser durablement le cours de l’histoire et la vie quotidienne de nos contemporains.