Les Editions Bamboo ont la bonne idée de rééditer le Café des Colonies, adaptation d’une nouvelle de Guy de Maupassant dont la première édition remonte à 2010 et qui marque le début d’une fructueuse collaboration entre Didier Quella-Guyot et Sébastien Morice.
Antoine Boitelle est connu dans tout le pays pour s’occuper des besognes ingrates et malpropres. Alors qu’il se rendait dans la demeure bourgeoise de M. Auballe pour y faire son office, il tombe en arrêt devant le superbe buste d’une africaine… Le voyant ainsi troublé, le propriétaire l’invite à parler de lui… Dans sa chère jeunesse, alors qu’il était soldat au Havre, il tomba éperdument amoureux de la belle Norène, une jeune africaine serveuse au Café des Colonies.
Peu à peu, ils apprirent à se connaître et à s’aimer. Mais leur amour va se fracasser sur le racisme ordinaire, les regards fuyants, les remarques sarcastiques et la résistance des parents d’Antoine, opposés à ce mariage bien trop coloré à leur goût…
Boitelle, la nouvelle dont de Guy de Maupassant dont est tirée cet album, a été initialement publiée dans
l’Echo de Paris le 22 janvier 1889 avant d’être intégrée au recueil
La Main Gauche édité la même année.
Dans cette nouvelle, au travers d’une histoire contrariée, Maupassant esquisse le portrait d’une époque et aborde ce racisme ordinaire, cette méconnaissance de l’autre et cette peur de la différence, dans une France fière de ses empires coloniaux. Il dépeint avec réalisme ce couple de paysans superstitieux dont l’ignorance et les préjugés allaient causer le malheur de leur fils.
Didier Quella-Guyot a remanié le texte originel afin de le rendre plus immersif. Le dialogue entre Boitelle et M. Auballe lui permet de dynamiser le récit et d’impulser un rythme appréciable à l’album. Il n’hésite pas à ajouter des scènes pour appuyer son propos, telles celle de l’exposition où les métropolitains se pressaient pour voir ces sinistres zoos humains où la scène durant laquelle le curé du village, pour qui l’Evangile est sans doute de l’hébreu, refuse l’accès à son église à la jeune Norène.
Le dessin de Sébastien Morice contient déjà en germe ce qui ferait son charme dans les albums qui suivraient celui-ci (
Papeete, 1914 et
Facteur pour femmes): un découpage soigné, un trait expressif plein d’élégance, une mise en couleur flamboyante et généreuse et un traitement de la lumière saisissant. La nouvelle couverture de l’album, montrant l’un de ces quelques instants de bonheur, est une fois encore très réussie…
Boitelle et le Café des Colonies est un récit poignant durant lequel le héros désabusé se souvient avec nostalgie de sa rencontre avec l’exotique Norène qu’il aima dès le premier regard et avec qui il ne put vivre à cause de l’ignorance, mère de tous les préjugés.
Joliment mis en image par Sébastien Morice et finement retravaillé par Didier Quella-Guyot, cette adaptation de Boitelle, nouvelle de Guy de Maupassant, brosse le portrait tristement réaliste d’une France rurale baignée dans un racisme ordinaire. Une œuvre remarquable et bouleversante qui n’a rien perdu de sa force…