A partir d’une nouvelle de Léon Tolstoï publiée en 1886, Martin Veyron a tissé un conte philosophique saisissant sur la cupidité de l’homme…
Lorsque l’histoire commence, Pacôme et son épouse sont pauvres mais heureux. Ce qu’ils tirent de leurs terres t de leur bétail suffit largement à assurer la subsistance de leur petite famille. Les paysans du village s’entraident pour les moissons et vivent en bonne entente alors que la propriétaire ferme les yeux sur les bêtes que les paysans laissent paitre dans son domaine…
Mais voilà que le riche fils de cette dernière va, plus par principe que par appât du gain, engager un contremaître impitoyable et intransigeant pour faire respecter ses droits… Ce faisant, il va déréguler les petits arrangements des paysans et causer bien des tracas à Pacôme… Apprenant fortuitement que le domaine allait être vendu, la commune s’en porte acquéreur, après d’âpres négociation…
Mais les choses vont de mal en pis et les paysans ne parviennent à se mettre d’accord sur la façon de gérer ces biens. Il est donc décidé de les vendre, et Pacôme va faire appel à son fortuné beau-frère et acquérir un grand domaine… Devenant propriétaire, il va peu à peu ressembler à ce contremaître zélé et intransigeant. Mais cela ne lui suffit pas et il rêve de s’agrandir encore… Lorsqu’un pèlerin arrive au village et lui parle des grandes étendues fertiles du pays des Bashirs, il prend vite la décision de partir, rêvant d’un domaine plus grand encore et de la fortune qu’il pourra en tirer…
Si l’album se referme avec la nouvelle de Tolstoï, Martin Veyron s’est amusé à développer la vie qui fut celle de Pacôme avant qu’il ne décide de partir au pays des Bashirs où s’étendent de verdoyantes et fertiles prairies à perte de vue… Ce faisant, il dénonce avec un plaisir jubilatoire, un humour corrosif et un regard acéré sur les dérives du capitalisme. A l’instar de la nouvelle, la chute de l’album, claquante comme un coup de fouet, est d’une redoutable efficacité, conférant une délicieuse ambivalence au titre…
Rehaussé par une délicate mise en couleur de Charles Veyron, le dessin semi-réaliste de Martin Veyron met subtilement en image ce conte moral, soulignant avec efficacité l’humour que l’auteur distille au fil des pages… Sa galerie de personnages est truculente et ses paysages russes, qui évoluent au fil des saisons ancrent son récit dans la terre…
L’album, avec ce titre embossé qui prend presque tout l’espace et ce quatrième de couverture évoquant une gravure ancienne, est un bien bel objet, ce qui ne fait qu’accroître le plaisir de la lecture…
Délicieux conte philosophique, cet album de Martin Veyron dénonce avec finesse et subtilité les travers de la société capitaliste, de l’existence des classes qui asservissent l’homme en passant par la recherche exacerbée du profit et à l’individualisme forcené qui s’installe incidieusement.
Bien qu’écrit il y a plus d’un siècle, la nouvelle de Tolstoï dont l’album est une remarquable adaptation s’avère encore et toujours tristement d’actualité, alors que l’homme mélange allégrement quête du bonheur et de la richesse, dans une fuite en avant éperdue, se souciant bien peu de ses congénères…
Au final, le véritable bonheur ne réside-t-il pas dans la solidarité et dans le fait de parvenir à désirer que ce dont on a réellement besoin?