De Staline on connaît surtout le tyran qui tenu d’une main de fer un immense empire, causant plusieurs millions de victimes… Hubert Prolongeau, Arnaud Delalande et Éric Liberge se proposent de nous raconter sans fard sa jeunesse tumultueuse afin de comprendre comment ce personnage à l’enfance cabossée a pu devenir le monstre que l’on connaît…
Moscou 1931. Au cœur du Kremlin où il règne en maître, Staline décide de raconter les premières années de sa vie à un obscur secrétaire du Parti… Détricotant le mythe officiel qu’il a lui-même écrit, il raconte sans fard son enfance blessée à ce fonctionnaire terrifié devant les incroyables confidences de l’homme fort de la Russie…
De son enfance difficile passée entre un père alcoolique et violent et une mère surprotectrice, à son entrée au séminaire, en passant par les premières grèves aux premiers coups de force et à son ouverture aux idées révolutionnaires…
S’il n’était devenu le tyran que l’on sait, Joseph Vissarionovitch Djougachvili serait un personnage éminemment romanesque. Tout à la fois idéaliste et ambitieux, il fut tour à tour enfant de chœur, séminariste, chef de bande, brigands, poète, syndicaliste et révolutionnaire…
La force du récit réside dans le fait que le narrateur n’est autre que Staline lui-même… De confidences en confidences, il sape les fondements de la statue qu’il s’est patiemment érigé pour servir sa gloire et son pouvoir, corrigeant ses propres mensonges et omissions pour rétablir la vérité… On comprend combien de telles révélations puisse inquiéter l’obscur secrétaire chargé de rédiger les propos du maître du Kremlin!
Par petite touche, les auteurs composent le portrait contrasté d’un personnage complexe et tourmenté. D’abord idéaliste, il va se faire pragmatique et opportuniste et contribuer à renverser le régime tsariste avant de se débarrasser de ses opposants réels ou imaginaire pour assoir et affermir son pouvoir…
Arnaud Delalande retrouve donc Eric Liberge avec qui il avait signé l’excellent
cas Alan Turing, un roman graphique consacré au père de l’informatique. Le dessinateur met en scène avec virtuosité ce récit historique et ce personnage complexe qui semble avoir eu cent vies avant de devenir le fondateur et le dirigeant d’un régime totalitaire sanguinaire.
Son trait énergique et son découpage dynamique s’avèrent une fois encore particulièrement convaincants. Le subtil de la couleur rouge souligne l’action et les états d’âme du jeune Staline, à l’instar des thèmes conducteurs accompagnant les héros de L'Anneau du Nibelung de Wagner…
Basé sur une solide documentation, ce récit historique écrit à quatre mains par Hubert Prolongeau et Arnaud Delalande nous entraîne à la rencontre du jeune homme que fut Staline avant que son ambition ne fasse de lui le maître incontesté (et incontestable!) de la Russie, ce « monstre moral et spirituel », selon les propres mots de sa fille…
Superbement mis en image par le trait nerveux et les subtiles couleurs d’un Eric Liberge une fois encore très inspiré, cette jeunesse de Staline s’annonce être une série historique aussi édifiante que passionnante dont nous vous recommandons chaudement la lecture…