Mark Waid, scénariste de l’excellent
Irrécupérable et de l’iconoclaste
Jardin du Souvenir s’associe au talentueux Jeffrey G. Jones pour signer un récit de super-héros atypique dont l’histoire prend racine dans l’Amérique ségrégationniste.
1927. Comme dans de nombreuses bourgades de l'Arkansas, de l'Illinois, du Kentucky, de la Louisiane, du Mississippi et du Tennessee, le Mississipi en crue menace de dévaster des villes entières et de fertiles terres agricoles.
A Chatterlee comme ailleurs, les digues menacent de céder, obligeant les hommes à travailler sans relâche pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être. Alors que le ciel se déchire, menaçant de tout emporter, le racisme latent sur ces terres esclavagistes va se déchaîner à nouveau… Les blancs obligent les noirs à trimer comme des bêtes de somme pour un salaire de misère et les autorités ne peuvent que fermer les yeux devant la toute puissance du Ku Klux Klan …
Mais un colosse noir littéralement tombé du ciel et doté d’une force herculéenne va infléchir le cours du destin…
C’est d’abord graphiquement que l’album attire l’œil, de par le remarquable travail de Jeffrey G. Jones. Son trait réaliste et ses superbes aquarelles font revivre cette époque troublée et confèrent au récit une identité graphique aussi puissante que saisissante qui n’est pas sans évoquer le remarquable travail de Stéphane Perger sur le très horrifique
American Gothic (
Dark Museum) scénarisé par
Alcante et Gihef… Remarquablement bien découpée, rehaussées par des cadrages pour le moins percutants, ses planches sont tout juste superbes et rendent à elle seules la lecture de l’album incontournables.
Ecrit à quatre mains par Jeffrey G. Jones et Mark Waid, le scénario de Strange Fruit fait clairement référence au Superman crée par Jerry Siegel au début des années 30 mais la transposition de son récit dans le sud ségrégationniste en font un récit atypique.
L’étrange titre de l’album fait référence à la chanson éponyme (évoquant elle-même
la Ballade des Pendus de Théodore de Banville) écrite par Abel Meeropol et chantée par Billie Holiday. Dans celle-ci, le fruit étrange n’est autre qu’un noir lynché et pendu à un arbre…
Le décor est donc d’emblée posé mais si l’album se lit avec plaisir, le scénario aurait gagné à être moins stéréotypé et plus approfondit et le personnage principal, ce colosse noir brillant et mutique, à être plus étoffé pour ancrer plus profondément le récit dans un genre qu’il ne semble revendiquer qu’à demi-mot. Il manque peut-être au héros une dimension humaine qui aurait pu le rendre attachant et conférer ce petit supplément d’âme qui manque au récit…
Alors que les éléments se déchaînent et que la crue du Mississipi menace de tout emporter, le scénario atypique de Jeffrey G. Jones et Mark Waid fait débarquer dans l’Amérique ségrégationniste des années 20 un Super-Héros noir.
Si le scénario est attendu et manque de ce petit supplément d’âme qui l’aurait rendu incontournable, il n’en reste pas moins intéressant, d’autant qu’il est littéralement sublimé par le dessin puissant et somptueux du trop rare Jeffrey G. Jones.
(*) Extrait de Strange Fruit interprété par Billie Holiday.