François Troukens, le scénariste de l’album, fait partie de ces hommes qui ont eu plusieurs vies… S’il officie actuellement comme écrivain, homme de radio, présentateur télé et cinéaste, il est aussi connu pour son engagement contre le radicalisme à qui la prison fait un formidable terreau… Et la prison, il connaît pour y avoir été incarcéré pour braquage… Car l’homme a aussi été braqueur et lorsqu’il signe le scénario de
Forban, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il maîtrise parfaitement son sujet…
Si Frank travaille comme convoyeur de fond, ce n’est que pour monter un casse en braquant son propre fourgon à l’aide de deux amis… Son premier casse est une franche réussite…
Pourtant, balancé par l’un des membres de l’équipe, il est envoyé à l’ombre pour soit disant payer sa dette à la société… Et loin d’aider et de préparer les prisonniers à se réinsérer, la prison est une école du crime qui attisent et aiguise la haine des détenus envers la société… Frank va s’évader, plus hargneux que jamais, et devenir, au fil des braquages, le bandit le plus recherché du pays… Il gagnera des fortunes et les dilapidera… et puis, un beau jour, son code d’honneur va se heurter de plein fouet à la réalité…
Tout a une fin…
Si elle s’avère particulièrement percutante, la couverture de l’album ne reflète pas vraiment son contenu… S’l est certes questions de grand banditisme et de casses musclés, l’intérêt de ce récit se trouve dans l’itinéraire de ce braqueur en révolte contre la société…
Lorsqu’on connaît l’itinéraire de François Troukens, on comprend combien il a puisé dans sa propre expérience pour créer ce personnage de papier, ce qui explique indéniablement sa densité et sa crédibilité… Le parcours de Frank est librement inspiré de l’auteur : celui d’un jeune fuyant l’éducation alternative de ses parents et désireux de faire partie de cette société en marge de laquelle il a grandi… Nourrit en prison de traités d’extrême gauche qui ont forgé sa conscience politique, il voit dans les banques, à l’origine de la dette, une cible privilégiée…
Mais l’auteur ne fait pas l’apanage de son mode de vie et en montre les limites de façon subtile… François Troukens fait montre dans ses textes d’une vraie réflexion et d’une prise de conscience salutaire, montrant comment ses actes illégaux fomenté aux noms d’idées d’extrêmes gauche servaient en définitive le grand capital qu’il espérait combattre… Sa force est d’avoir su utiliser sa connaissance du système carcéral pour pointer ses défaillances et œuvrer, par son témoignage et son engagement, à son amélioration…
Le trait charbonneux d’ Alain Bardet confère à l’album une énergie particulièrement appréciable. Ses cadrages, résolument cinématographique, s’avèrent être d’une efficacité redoutable pour mettre en scène les braquages mais aussi les scènes plus intimistes ou les souvenirs d’enfance de Frank…
La couverture peut prêter à confusion car s’il est bien question de braquages dans cet album, il est plus question de la rédemption d’un homme qui se voyait comme un pirate romantique et moderne, qui trouvait dans son action armée l’opportunité de changer les choses…
Une fois être persuadé d’être dans une impasse dont la mort ou la prison semblaient être les seules issues, Frank, avatar de papier de François Troukens, héros tragique de ce récit, va poursuivre sa lutte, délaissant les flingues pour la plume, plus à même peut-être de changer la société… Une fois libéré, il militera pour que la prison ne soit plus une école du crime où on cultive la haine de la société, mais une possibilité réelle, pleine et entière de réinsertion…
Forban est un album fort et prenant, remarquablement bien écrit et puissamment mis en image par le trait charbonneux d’ Alain Bardet.
Sans m’en rendre compte, je faisais l’affaire des institutions financières. Car chaque fourgon braqué avec violence justifiait un peu plus l’abandon du cash au profit des paiements électroniques. La peur, un bon moyen pour racketter les consommateurs en prélevant une commission sur chaque transaction et s’infiltrer dans leur vie privée.Frank