



L'étonnant Jonathan Hickman (
East of West,
Pax Romana,
The Manhattan Project) associe sa plume au talentueux Tomm Coker(
5 Ronin) pour tisser un thriller ésotérique envoûtant et dérangeant...
Depuis l’aube de l’humanité, le commerce a régi les rapports entre les hommes. La monnaie a succédé au troc et, au-delà même de sa valeur intrinsèque, elle s’est chargée d’une véritable puissance magique…
Depuis des lustres, une poignée d’individus sans scrupules vénérant Mammon, Prince des Enfers et de la Cupidité, use de cette puissance pour assoir leur pouvoir et asservir cette cohorte d’esclave que constitue pour eux l’humanité. Manipulant les cours de la bourse, ils sont derrière les crises financières, de celle du jeudi noir de 1929 en passant par le choc pétrolier de 1974 ou la crise des subprimes de 2008…
L’un des membres de cette inquiétante société secrète a été assassiné et son meurtre qui a toutes les apparences d’un crime rituel va pousser la police à faire appel à Théodore James Dumas, un inspecteur mis au placard après une sinistre affaire qui va reprendre du service pour faire la lumière sur ce meurtre sordide… Ce faisant, il va lever le voile recouvrant une réalité vertigineuse et inquiétante…

La couverture de l’album est de celle qui attire d’emblée le regard et aiguise les appétits du lecteur amateur d’ésotérisme… On y voit Mammon, Prince des Enfers, en costard cravate lisant une gazette financière en sirotant un whisky alors qu’un cigare se consume dans le cendrier… Un conseil, n’ouvrez pas cet album… Vous ne pourriez plus le reposer… Vous persistez… Tant pis pour vous…
Inventif et déstructuré, le récit concocté par Jonathan Hickman est à la fois hallucinant et halluciné… Ecartelé entre plusieurs lieux et époques, entrecoupés de divers documents allant de documents hermétiques à des lettres, des dossiers et des comptes rendus d’interrogatoires caviardés, en passant par des journaux intimes, c’est peu dire que son scénario ambitieux, vertigineux mais parfaitement maîtrisé happe le lecteur de façon saisissante… Si les premiers chapitres s’avèrent particulièrement intrigants, le récit qui relate l’histoire de familles qui s’entredéchirent pour le pouvoir suprême prend de l’ampleur au fil des pages alors que le scénariste introduit des éléments dérangeants qui distillent une ambiance délicieusement malsaine semblables à celles qui baignent les films de David Fincher… Du grand art, assurément…
Assisté aux couleurs par l’impressionnant Michael Garland, Tomm Coker signe des planches sombres et somptueuses. Son encrage précis, son travail saisissant sur les ombres et ses cadrages virtuoses contribuent à poser cette atmosphère étouffante qui émane de l’album alors que le voile d’une réalité alternative et fantasmé se soulève peu à peu… Il met en scène avec maestria une galerie de personnages inquiétants et charismatiques, acteurs d’une guerre occulte qui fait rage en marge des grands mouvements financiers… Empruntant au vocabulaire cinématographique, chacune de ses scènes s’avère découpée avec soin. Si les scènes de dialogues sont incroyablement vivantes et dynamiques, celle de l’interrogatoire de Viktor Eresko est un petit bijou d’inventivité et d’efficacité qui marquera durablement l’esprit du lecteur…

Gloire à Mammon est un album fascinant et dérangeant qui distille une atmosphère malsaine et poisseuse qui va crescendo au fil de l’album.
Avec la complicité du talentueux Tomm Coker qui signe des planches somptueusement composées, Jonathan Hickman nous livre un thriller ésotérique et financier aux accents de polar hardboiled étrangement déstructuré mais parfaitement maîtrisé…
La mythologie qu’il échafaude pour servir d’ossature à son récit lui confère son sel et sa force et l’inquiétante galerie de personnages qu’il met en scène s’avère particulièrement inquiétante… Entraîné dans les coulisses des crises financières dans le sillage de l’inspecteur Théodore James Dumas, le lecteur découvre une vérité malsaine et dérangeante, projection fantasmatique d’une finance mondialisée privée de conscience et de morale…
A l’instar d’un Alan Morre, Jonathan Hickman use du fantastique pour aborder de façon détournée une problématique bien contemporaine… Et il le fait avec une audace et un talent indéniable…
Un album puissant et incontournable…
L’histoire de Wall Street s’écrit en lettres de sang. Le sacrifice humain en est la pierre angulaire.Viktor Eresko