Après l’envoûtante malédiction de Gustave Babel, il nous tardait de retourner dans le Paris interlope de cette uchronie fantastique esquissée par l’impressionnant Gess… C’est peu dire que la sortie d’ un destin de Trouveur était très attendu aux Sentiers de l’Imaginaire…
A l’instar de Gustave Babel, Emile Farges n’est pas un homme ordinaire. Il possède un talent rare et précieux : celui de trouveur. A l’aide d’un caillou jeté sur une carte, il peut localiser la personne qu’il cherche, où qu’elle soit… Révélé dès son jeune âge, il a utilisé son don pour trouver l’amour de sa vie, la fille de Mama-Brûleur, une femme redoutable à la tête des Sœurs de l’Ubiquité, une société secrète qui s’est donnée pour but de défendre les femmes de l’oppression masculine…
Suivant les conseils de son père, il a mis son talent au service de la Justice en travaillant pour la police pour résoudre des affaires criminelles, s’attirant l’inimité de certains collègues… Sans le savoir, il a aussi attiré sur lui l’attention de la Pieuvre, une association de malfaiteurs qui tient Paris sous sa coupe…
Lorsque sa femme et sa fille son enlevée, Edouard Ronsard, dit la Bouche, n’hésite pas à enlever la famille d’Emile Farges pour le contraindre à utiliser son don pour les retrouver… Son talent lui suffira-t-il à se sortir lui et sa famille de ce mauvais pas ? Rien n’est moins sûr…
Le Paris dépeint dans les contes de la Pieuvre a toutes les apparences de celui de la Belle Epoque. S’appuyant sur une solide documentation, Gess le fait revivre avec maestria, composant des visuels saisissants qui immergent littéralement le lecteur au cœur de la Ville des Lumières… Mieux, il intègre à son récit des éléments empruntés à l’esprit de l’époque, tels féminisme balbutiant né dans l’utopie libertaire de la Commune qui s’incarnent dans ces inquiétantes Sœurs de l’Ubiquité ; ou l’émergence d’une conscience de classe née avec l’ère industrielle... Ce faisant, l’auteur crée une uchronie fascinante qu’il teinte de fantastique avec ces talents que possèdent certains de ses personnages et qui les rendent extra ordinaires…
Gess joue avec art de la temporalité avec des flashbacks parfaitement orchestrés qui viennent pour un temps suspendre l'action, induisant chez le lecteur cette délicieuse frustration qui est la marque des grands récits… tout en mettant en lumière l’une ou l’autre facette du Trouveur, dévoilant son passé par bribes pour rendre sa destinée plus belle et tragique encore… Si on y croise des personnages rencontrés dans le premier opus, tel l’hypnotiseur, accentuant la cohérence et la densité de l’univers de la série, la Pieuvre, organisation tentaculaire d’inspiration mafieuse regroupant des porteurs de talents, occupe une fois encore une place centrale alors qu’une lutte à mort l’opposera au Trouveur…
L’auteur fait montre d’un talent saisissant pour poser une ambiance à l’aide d’une colorisation diaboliquement subtile, de cadrages ciselés, d’un découpage savamment travaillé et des plans très cinématographiques. Parfaitement maîtrisée, sa narration est d’une rare fluidité malgré son intrigue délicieusement alambiquée où l’on croise une galerie de seconds rôles profondément marquants qui rendent le récit plus captivant encore…
Porté par un univers riche et cohérent, un dessin somptueux, des personnages fascinants et une narration alambiquée parfaitement maîtrisée, la Malédiction de Gustave Babel, premier récit des Contes de la Pieuvre était indéniablement l’un des meilleurs albums de l’année 2017… Ce second opus a tous les atouts pour devenir le meilleur album de l’année…
S’appuyant sur une solide documentation, le destin de Trouveur nous entraîne à nouveau dans un Paris de la Belle époque fantasmé que Gess reconstitue de façon particulièrement convaincante avec ce roman (graphique) noir subtilement teinté de fantastique… Sur fond de lutte des classes, on découvrira la destinée tragique et sublime d’un Trouveur qui va être happé par les tentacules de la Pieuvre, organisation d’inspiration mafieuse qui tient Paris sous sa coupe…
Si ce conte est un petit bijou graphique et narratif, il faut aussi souligner la qualité de l’édition : dos toilé, titrage embossé et couverture rehaussé de dorures… Un bien bel objet en plus d’être un récit particulièrement envoûtant…
J’ai jeté mon caillou sur la carte en pensant ; je veux trouver la personne que j’aimerai, qui m’aidera et avec qui je ferai ma vie. Et le caillou est tombé sur cette ruelle de la zone de Pantin, là où tu étais.Emile Farges
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