Philippe Thirault et Roberto Zaghi nous proposent un récit romanesque de la vie tumultueuse de Nestor Makhno, révolutionnaire libertaire qui fit souffler le vent de l’anarchie sur l’Ukraine…
Ukraine, début du XXe siècle. Orphelin de père, Nestor Makhno était promis à une vie miséreuse mais sa mère le confie à une riche bourgeoise dure et rigoriste pour qu’elle l’élève. Mais le jeune garçon est déjà épris de liberté et n’hésite pas à défier sa mère adoptive… qui lui fuira chèrement payer ses affronts répétés… N’y tenant plus, il fugue mais revient régulièrement voir en cachette la belle Katrin dont il est amoureux…
Les années passent. La vieille Vynnithenko n’est plus et son fils se montre plus cruel qu’elle avec les paysans travaillant sur ses terres. Nestor ose retenir le bras du maître qui châtiait durement l’un d’entre eux, acte qui pourrait lui valoir la corde… Nestor rejoint les anarchistes prônant la redistribution des terres et, après quelques collectivisations, il est capturé et condamné à mort… Son jeune âge lui évite la pendaison mais le voilà enfermé de Boutyrka. Là, il croisera la route de Piotr Andreievitch Archinov qui lui fera lire les penseurs anarchistes… Enseignement qu’il mettra en pratique dans son Ukraine natale dès sa libération par les révolutionnaires en 1917…
D’abord allié aux bolcheviques pour combattre les russes blancs du général Dénikine, il va rapidement s’opposer à eux pour établir une société rurale libertaire fondée sur l’autogestion…
Malgré son épopée libertaire, Nestor Makhno est étrangement peu connu par le grand public alors qu’il fut le chef de file d’une révolution prolétaire humaniste que les bolchéviques tentèrent d’étouffer dans l’œuf. Car l’homme, épris de liberté, ne supportait pas l’idée d’autorité et menaçait les fondements de la toute jeune République socialiste fédérative soviétique.
]Les premières pages de l’album s’avèrent pour le moins déstabilisantes… Alors qu’on s’attendait à suivre l’épopée révolutionnaire ukrainienne, l’album s’ouvre sur une sortie de l’usine Renault de Boulogne-Billancourt en 1934 où l’on assiste à une violente altercation entre des membres du PCF et un ouvrier voyant d’un mauvais œil la propagande mensongère de ceux qui enchaînent les travailleurs en prétendant les affranchir… En coulisse, son assassinat s’orchestre, sur ordre de Staline… Rentré chez lui, malade et affaibli, alors que sa compagne menace de le laisser pour partir avec leur fille, Nestor Makhno se souvient… Comment alors un second récit enchâssé dans le premier, induisant un rythme soutenu à l’ensemble alors que chacune des époques contribue à esquisser le portrait du révolutionnaire…
Fallait-il pour autant, comme l’a fait Philippe Thirault, accentuer la part de romanesque en parlant de cette hypothétique adoption qui lui aurait permis de connaître de l’intérieur la grande bourgeoisie qu’il combattra avec ardeur… ou tisser une histoire d’amour artificielle accompagnée de cette trahison qui est la marque des héros ? La vie de Makhno n’était-elle pas suffisamment romanesque sans qu’il soit besoin d’en rajouter ?
Quoi qu’il en soit, l’ensemble s’avère particulièrement entraînant et donne la furieuse envie d’en connaître davantage sur l’épopée révolutionnaire de Nestor Makhno… Signée Yves Frémion, critique BD et homme politique, la postface de l’album s’avère particulièrement intéressante, montrant comment les russes rouges ont bâti de toute pièce la légende noire de Nestor Makhno pour abattre ses idées en tentant de tuer l’homme… Le véritable Nestor Makhno se trouve quelque part entre le mythe anarchiste entourant celui qui a fondé l’embryon d’une société rurale libertaire et la légende noire forgée par la propagande communiste… et le fait est qu’il avait tout d’un héros de roman et cet album, aussi romancé soit-il, lui rend indéniablement justice.
S’inscrivant dans une veine académique, le trait réaliste de Roberto Zaghi sert efficacement ce récit écartelé entre deux époques. Sa narration graphique s’avère parfaitement maîtrisée grâce à un découpage bougrement efficace et résolument cinématographique.
Philippe Thirault s’appuie sur la vie tumultueuse de Nestor Makhno pour tisser une série éminemment romanesque qui nous entraîne dans la tourmente révolutionnaire du début du siècle passé…
Comme le souligne Yves Frémion dans sa postface, Nestor Makhno est de ceux dont le destin qui auraient pu changer la face de l’Europe si son utopie anarchiste avait pu perdurer et faire des émules. Mais il n’en fut rien… Vaincu par l’armée rouge de Trotski après avoir défait les troupes tsaristes du général Dénikine, il fut contraint à l’exil et mourut dans la misère à Paris.
Le Vent des Libertaires se dévore comme un roman tant et si bien que les lecteurs attendront immanquablement la suite avec impatience, même si les premières pages ne laissent que peu de doute sur son issue fatale…
Si tu te prétends anarchiste, tu dois connaître ceci. Ce que je veux te mettre entre les mains, tous les ouvrages de cette bibliothèque, sont plus que des livres. Ce sont des armes. Tu verras que les rues ne sont pas tous mauvais.Piotr Andreievitch Archinov