Février 1915. Le monde est déchiré par la Grande Guerre. Les canadiens rejoignent la ligne de front pour épauler les forces alliées. Parmi eux, le soldat Odawaa, un tireur d’élite d’origine Cree qui sème la terreur dans l’armée allemande par le nombre de ses victimes et la violence dont il fait montre…
Dans le no man’s land séparant les deux armées, un groupe de déserteurs allemands dirigés par le Commandant Heinrich Von Schaffner torturent, exécutent et pillent sans vergogne. Préoccupée par l’imminence d’une offensive allemande de grande envergure, le haut commandement français mandate le Colonel Desjoyaux pour requérir l’aide des snipers du Capitaine Ernest Keating du premier Bataillon d'Infanterie Canadien. L’affaire prend une tournure troublante lorsque le capitaine apprend que Heinrich Von Schaffner a été abattu il y a quelques temps par le Caporal Odawaa…
Avec son illustration aussi superbe que surprenante représentant un Tomahawk planté dans un casque à pointe juché sur des barbelés, la couverture de l’album est de celle qui attire d’emblée l’attention et aiguise la curiosité du lecteur… Particulièrement immersives et remarquablement composée, les premières planches immergent d’emblée le lecteur au cœur de l’horreur… Et l’on comprend qu’un diable d’homme de la trempe d’Odawaa laissant derrière les cadavres scalpés de ses ennemis puisse semer la terreur parmi l’armée allemande…
Après son saisissant
Cœur des Amazones, le prochain ouvrage de Christian Rossi faisait immanquablement parti des albums très attendus de l’année 2019. Ecrit par un « jeune » scénariste mais néanmoins bien connu des amateurs du neuvième art pour avoir animé pifPAFpoum (émission délirante de la bande-dessinée),
la Ballade du Soldat Odawaa nous entraîne au cœur de la Grande Guerre pour un récit aux accents de western… Remarquablement orchestré, ce premier scénario de bande-dessinée de Cédric Apikian est d’une précision diabolique. Si ses dialogues ciselés contribuent à poser cette atmosphère étrange qui baigne le récit, ses silences s’avèrent tout aussi évocateurs, impulsant un rythme lancinant lorgnant vers le lyrisme du cinéma de Sergio Léone, dont on retrouve le recours à des motifs récurrents et le désespoir lucide gagnant les combattants embourbés dans une guerre trop meurtrière… et certaines clefs, clin d’œil des auteurs à ce maître du western… Pour créer son personnage d’Odawaa, l’auteur s’est inspiré d’un héros amérindien de la Grande Guerre, Francis Pegahmagabow, éclaireur et snipper émérite à qui l’on attribue pas moins de 378 victimes…
Mais si Christian Rossi fait montre d’un indéniable talent pour mettre en scène une violence froide, implacable et sanglante et dépeindre des paysages désolés et déchiquetés par la guerre, il s’avère tout aussi redoutable pour mettre en image l’étrange poésie distillée par le personnage du Capitaine Ernest Keating, professeur de littérature qui semble être venu s’échouer dans la boue pour d’obscures et douloureuses raisons qui seront révélées au fil des pages… Ses cadrages d’une rare justesse et son encrage sombrement virtuose donnent vie à une galerie de personnage baroques et torturés dont les destins vont se croiser et se télescoper de façon saisissante… Walter signe des couleurs particulièrement subtiles, avec ces teintes glauques et délavées qui contribuent à poser cette ambiance poisseuse et crépusculaire qui brouille les repères et les frontières entre songes et réalités. Pour autant, l’édition noir & blanc proposée par Canal BD s’avère elle aussi somptueuse, permettant de mieux apprécier encore le formidable travail et le talent saisissant de Christian Rossi… Si vous êtes fan du travail du dessinateur (comment ne pas l’être ?), n’hésitez pas trop longtemps, l’album est déjà quasiment épuisé…
Originellement destiné au cinéma, le scénario de Cédric Apikian est une petite merveille de précision qui immerge le lecteur au cœur de la Grande Guerre pour un récit sombre et tourmenté.
L’album est superbement mis en image par le trait puissant de Christian Rossi qui joue avec virtuosité avec les codes du western pour mettre en scène ce récit dérangeant et tragiquement romanesque où se mêlent une violence crue et une sombre poésie… L’ombre d’Hugo Pratt semble planer sur cette fiction ancrée dans l’Histoire et où la frontière entre onirisme et réalité semble parfois s’estomper, faisant perdre leurs repères aux acteurs du drame comme au lecteur…
Cette Ballade du Soldat Odawaa est indubitablement l’un des meilleurs albums de cette fin d’année par sa puissance narrative et graphique et sa façon audacieuse de transposer les codes du western dans la boue des tranchées, renforçant de façon diabolique la dramaturgie du récit…
Odawaa, mon garçon, ce que je vais te dire ne va pas te plaire. Ce von Schaffner, que tu as abattu il y a un mois, semble revenu d’entre les morts ! Tu vas devoir retraverser les lignes ennemies… Ces pillards sont de vrais barbares… Mais je te fais confiance…Capitaine Ernest Keating