La seconde guerre mondiale touche à sa fin. Berlin n’est plus qu’un champ de ruines. Ingrid s’est réfugiée dans la cave de son immeuble où elle confie ses états d’âme à un journal intime. Bien que mariée à un SS, elle n’a jamais été nazie et a, comme tous les allemands, subbi le joug d’un régime autoritaire qui se souciait bien peu de son peuple et dont elle vit les dernières heures… Epuisée par les privations, elle vit dans l’angoisse de l’arrivée des « barbares » russes…
Membre du N.K.V.D., Evgeniya arrive à Berlin avec l’Armée Rouge pour authentifier les restes d’Hitler, enjeu de luttes politiques… Du haut de ses dix-neuf ans, la jeune femme pétillante de vie, naïve et très à l’écoute va partager la chambre d’Ingrid… Et si leur relation est tout d’abord houleuse, elles vont apprendre à se connaître et à s’apprivoiser…
Nicolas Juncker fait partie de ces auteurs dont nous suivons le travail avec une grande attention… Racontant les coulisses d’un romanesque coup d’état contre Napoléon, son
Malet nous avait particulièrement enthousiasmé, de même que son
d’Artagnan et sa relecture jubilatoire du chef d’œuvre de Dumas, sa
Vierge et la Putain retranscrivant brillamment l’opposition entre Elisabeth Tudor et sa cousine Marie Stuart ou son édifiant
Fouché, mis en image par Patrick Mallet, mettant en lumière ce personnage éminemment complexe qui a servi tous les régimes…
Pour ce nouvel album, l’auteur délaisse les prestigieuses figures historiques pour s’intéresser à deux anonymes oubliées des livres d’histoire… Mais ces deux personnages de fiction s’inspirent de deux femmes ayant vécu à Berlin alors que s’effondrait le Reich qui devait dit-on durer mille ans… Le personnage d’Ingrid est tiré de l’autrice anonyme d’
Une femme à Berlin qui nous raconte son quotidien dans un Berlin ravagé par la guerre et dans le chaos qui a suivi la victoire soviétique, ne passant pas sous silence les sévices qu’elle a subi…
Celui d’Evgeniya s’appuie sur le
Carnets de l'interprète de guerre de Elena Rjevskaïa, jeune femme russe qui s’est retrouvée en 1945 à l’épicentre du dénouement d’un conflit qui a embrasé le monde et qui a participé à la découverte et à l’authentification du corps d’Hitler… Si leur amitié et même leur rencontre est pure fiction, cet artifice narratif croise les points de vue, permettant à Nicolas Juncker de retranscrire avec une rare justesse l’atmosphère suffocante et écrasante qui devait régner dans la ville en ruine : la peur qui rongeait les civils allemands, confinés dans leurs caves ; le cadavre d’Hitler que Staline subtilisera pour faire croire qu’il avait échappé à la mort et était protégé par ce qui allait devenir le bloc de l’Ouest dans cette guerre froide qui vivait ses premiers primas…
Le trait sensible et délicat de l’auteur s’avère particulièrement expressifs, donnant à voir autant qu’à ressentir les émotions qui assaille chacune des deux héroïnes involontaires de ce drame historique. Après nous avoir immergé dans l’angoissante attente de l’arrivée des russes aux côtés d’Ingrid, il dépeint avec finesse l’amitié naissante entre ces deux femmes si différentes qui vont, l’espace de quelques jours, se rapprocher, esquissant avec justesse et retenue le portrait de deux personnages particulièrement bouleversants. Ses teintes sépias immergent d’emblée le lecteur au cœur de cette période tourmentée et les touches de rouge qui émaillent le récit s’avèrent puissamment efficaces…
Avec Seules à Berlin, Nicolas Juncker nous conte le destin de deux femmes que tout oppose dans un Berlin transformé en champ de ruine.
L’une est allemande et, après avoir vécu les privations et l’angoisse de l’arrivée inéluctable de l’Armée Rouge, elle allait subir les pires outrages. L’autre est une agente du N.K.V.D. venue à Berlin pour retrouver et identifier les restes de Hitler qui sont l’objet d’un combat politique. Alors que tout les destinait à être ennemie, une étrange amitié allait naître entre elles, l’espace de quelques semaines…
L’auteur fait montre d’une parfaite maîtrise graphique et narrative avec ce récit bouleversant de justesse qui peint, à hauteur de femme, un saisissant tableau des dernières heures du IIIeme Reich…
Les bombardements qui s’éloignent, c’est le Ivan qui approchent. Nous montons tous dans nos appartements sauver ce qui peut encore l’être. Mais sauver quoi ? Et dans quel but ? Les Russes peuvent tout emporter mais je m’en moque. On dit qu’ils ne connaissent aucune pitié. Qu’ils abattent les prisonniers et les vieillards. Qu’ils mangent les enfants. Quant aux femmes du peuple vaincu… Nous savons toutes ce qui nous attend.Ingrid