


Après la mort de ses parents, la jeune Denise s’en vient à Paris sans un sous en poche pour travailler comme vendeuse chez son oncle Baudu. Mais les affaires de l’oncle ne sont guère florissantes depuis que le Bonheur des Dames, un gigantesque magasin qui fait déplacer le tout Paris, lui vole un à un ses clients…
Denise franchit alors la porte du Bonheur des Dames pour s’y faire engager comme vendeuse, découvrant les rivalités le monde impitoyable des vendeuses dans lequel règne une féroce concurrence… Elle y fait la rencontre de Octave Mouret, l’ambitieux et visionnaire patron du magasin auquel rien ni personne ne semble pouvoir résister… Et pourtant…
Révélée par son envoûtante
Milady de Winter qui proposait une relecture bouleversante et féministe du chef d’œuvre de Dumas, Agnès Maupré fait partie de ces autrice dont nous ouvrons chaque nouvel album avec jubilation… Il faut dire que son édifiant
Chevalier d'Eon comme son remarquable
Tristan et Yseult nous avaient, eux aussi, particulièrement enthousiasmé… C’est donc avec un réel plaisir que nous nous sommes lancé dans son adaptation du roman éponyme d’Emile Zola…

Dans
le Bonheur des dames publié en 1883 mais prépublié dans Gil Blas, le romancier nous entraîne à la fin du Second Empire pour y poursuivre sa saga des Rougon-Macquart et y suivre Octave Mouret, tout puissant patron du grand magasin, au fait de sa gloire… Avec une acuité saisissante, dans un Paris en pleine mutation, Emile Zola décortique les rouages de la société de consommation où l’argent devient le maître étalon, organisant jusqu’aux relations entre les individus. Derrière les dorures du décor, le magasin est dépeint comme un ogre à l’appétit féroce dévorant sans pitié magasins et concurrents.
Loin d’être ancrée dans le passé, la thématique de l’histoire où se mêle amour et sentiments, s’avère plus que jamais d’actualité alors que les origines sociales déterminent encore aujourd’hui le destin d’un individu, que l’humain est encore et toujours sacrifié sur l’autel du profit et qu’on est encore bien loin de l’égalité entre hommes et femmes, tant au niveau des salaires qu’au niveau de la place que chacun occupe dans la société…
Agnès Maupré s’empare avec élégance de l’histoire et des personnages, en esquissant un saisissant portrait de chacun d’entre eux, à commencer par Denise Baudu, jeune provinciale venue à la Capitale pour fuir la misère et découvrant un monde dont elle ne connaît ni les codes ni les usages.

C’est à travers ses yeux que le lecteur va découvrir les coulisses de ce temple de la consommation qu’est le Bonheur des Dames… A sa suite, il va d’abord être émerveillé par les somptueuses vitrines élégamment mises en scènes, par les étals où s’étalent étoffes luxueuses et tissus précieux, par le manège des vendeuses s’affairant autour des clientes… Cet aspect est magnifiquement retranscrit par le trait épuré et plein d’élégance de l’autrice par ses couleurs chatoyantes qui renforcent la magnificence du grand magasin inspiré du Bon Marché. Ses planches lumineuses et son découpage virevoltant, retranscrivent avec art l’effervescence et l’atmosphère décrite par Zola.
Mais, lorsqu’elle passe, de l’autre côté de la barrière, elle découvre l’envers du décor, un monde dur et impitoyable où, intéressement des vendeurs et vendeuses oblige, tous les coups semblent permis et que les vendeurs les moins performant sont jetés, sans vergogne, sur le pavé… alors que l’essor inexorable des grandes enseignes précipitent la faillite et la disparition des petits commerces… Les mesquinerie et jalousie de ses collègues y sont formidablement bien retranscrites de même que le désespoir de sa famille dont le destin semble scellé par les incessants agrandissements du Bonheur des Dames. En metteuse en scène virtuose, elle insuffle la vie à chacun de ses personnages et donnent au lecteur la délicieuse impression d’être le spectateur de la représentation théâtrale d’une comédie dramatique finement orchestrée… Et le ballet amoureux qu’entament Denise Baudu et Octave Mouret n’en est que plus délicieux !
Avec la délicatesse et la sensibilité qui caractérise son œuvre, Agnès Maupré signe une remarquable adaptation du roman naturaliste d’Emile Zola.
Si elle n’a pu esquiver les inévitables coupes, son album retranscrit avec force l’esprit de l‘histoire originelle. Plus encore que Zola qui décentra son récit d’Octave Mouret pour le centrer sur elle, l’autrice place Denise Baudu au cœur du récit, ce personnage solaire illuminant le Bonheur des Dames de son humanité de sa bienveillance…
Agnès Maupré fait une nouvelle fois montre de ses talents de conteuse avec sa saisissante relecture du Bonheur des Dames…
Il est là, le nouveau commerce, nous sommes au dix-neuvième siècle. Cela ne suffit plus seulement de vivre, il faut consommer.Octave Mouret