Le 18 avril 1955 disparait Albert Einstein, immense physicien dont les travaux ont révolutionné notre vision du monde… Chargé de l’autopsie, le cerveau de Thomas Stolz a ce qu’il croit être une brillante idée : s’il subtilisait le cerveau du brillant savant, il pourrait l’étudier à loisir, en percer les mystères et ainsi connaître la gloire…
Faisant fi des dernières volontés d’Albert Einstein d’être incinéré, il scie sans vergogne sa boîte crânienne et subtilise le précieux organe et l’emmène en catimini chez lui… Il n’avait pas prévu que le physicien l’y rejoigne ni qu’il soit à ce point excité à l’idée de comprendre le fonctionnement de son cerveau et pouvoir reprendre les recherches laissées en suspens à cause de l’arrivée inopinée de la Camarde…
Reste à trouver un laboratoire, un chercheur en neurologie, tout ça en évitant de se faire attraper par le FBI désireux d’empêcher la fuite de ce brillant cerveau vers le Bloc de l’Est…
Après son flamboyant et intimiste
Malaterre (sans doute l’un des meilleurs albums de l’année 2018) Pierre-Henry Gomont revient avec cette histoire inspirée de faits réels et véridiques… Est-ce à dire que tout ce qui est raconté dans la fuite des cerveaux est vrai ? Euh… Faudrait peut-être pas déconner… A moins de faire sienne la phrase de Boris Vian : « Cette histoire est vraie puisque je l'ai inventée. ».
C’est donc dans un road-trip totalement barré que nous entraîne l’auteur, avec un médecin peu scrupuleux qui s’associe à un Albert Einstein par lui décérébré pour tenter de percer les secrets du cerveau de l’un des plus grands génies du XXe siècle… C’est drôle, mordant, irrésistible, iconoclaste, burlesque et joyeusement déjanté, surréaliste même ! Mais ne croyez pas pour autant que l’auteur fasse feu de tout bois sans trop savoir où il nous mène ! Non, son récit est joliment troussé, indéniablement baroque avec un côté délicieusement picaresque…
Difficile de rester insensible au retour inopiné d’un Albert Einstein aussi touchant qu’éminemment sympathique car profondément humain malgré son génie confondant et son absence de cerveau prélevé par un médecin avide de gloire… Pourtant, inspiré du médecin ayant autopsié Albert Einstein et dérobé son cerveau, Thomas Stolz est un personnage truculent qui semble totalement dénué de scrupules et agit bien souvent avant de demander leur avis à ses neurones…
Pourtant, au fil des pages, son portrait s’affine, se nuance, se contraste, révélant un homme plus complexe que la maladresse quasi maladive rend particulièrement touchant… Les dernières pages de l’albums s’avèrent tout juste poignante, montrant à quel point ce récit aux allures d’exercice d’équilibriste s’avère parfaitement maîtrisé…
Mais si l’histoire rythmée et riche en rebondissements débridés s’avère remarquablement bien écrite, elle est d’autant plus irrésistible qu’elle est mise en image avec une inventivité folle… Pierre-Henry Gomont joue avec art des codes du neuvième art qu’il tord sans vergogne pour mieux servir son propos, estompant les frontières séparant les cases, faisant voler en éclat le sacro-saint sens de lecture, représentant plusieurs fois le même personnage dans une même case, résumant avec art la fuite en avant de Stolz, Einstein et de son cerveau… Et il y a son trait souple, nerveux, charbonneux et surtout incroyablement dynamique, sa façon saisissante d’accentuer les poses, de jouer avec les contrastes dans un jubilatoire théâtre d’ombre, truffant son récit de métaphores ou d’allégories impromptues et de récitatifs délicieusement décalés… Quant à ses décors, ils sont truffés de détails drolatiques rendant la lecture particulièrement ludique, tels les noms des différents services de l’hôpital dont l’enchainement est bien moins anecdotique qu’il y parait… Réellement, l’auteur frôle le génie, à se demander s’il n’a pas eu accès aux comptes-rendus des recherches menées par Thomas Stolz pour percer les mystères du génie…
Après avoir refermé l’album, on se dit que l’auteur a représenté sur la couverture trois lecteurs se précipitant pour acheter sans tarder un exemplaire de la fuite du cerveau chez leur libraire préféré tant nous avons été emballés par ce récit !
Chaque nouvelle œuvre de Pierre-Henry Gomont est en soit un évènement et celle-ci ne fait pas exception ! Follement rafraîchissant, totalement azimuté mais parfaitement maîtrisé, mis en scène avec intelligence et une inventivité rare et débridée, le scénario s’appuie sur des faits réels et avérés pour tisser une comédie rythmée et irrésistible, à la limite du surréalisme…
Pierrre-Henri Gomont n’en finit pas de nous impressionner par son saisissant talent et nous ne pouvons que conseiller à ceux qui ne connaissent pas cet auteur de se ruer sans attendre chez leur libraire pour y acheter sinon l’intégrale de son œuvre mais tout au moins son dernier album en date… Quant à ses fans, ils y sont déjà passés !
- Hého ? Et alors mon garçon ?
- Vous devez me haïr ?
- Hein ?
- Vous êtes venus pour vous venger, c’est ça ?
- Qu’est-ce que tu racontes ? Tu veux parler de ça ? Mais non, enfin. C’est vrai que ce n’est pas trop ce qui était prévu… Mais tu sais quoi mon garçon ? En fait, ça m’arrange. J’ai du travail en cours, ça m’ennuyait de laisser ça en plan.
- Ah bon ? Ben c’est bien ça, alors.dialogue entre Albert Einstein et Thomas Stolz
(*) stricto sensu