Grâce à son pied-bot, Tonio a pu aller à l’école, apprendre à lire et à compter… Les habitants de son village de Sicile ont fait une collecte pour lui payer le voyage jusqu’aux Etats-Unis où il espère trouver une situation qui lui permettra de rembourser sa dette auprès des villageois… Sur le paquebot où il effectue la traversée en troisième classe, il se lie d’amitié avec Guiseppe qui a fui l’Italie pour échapper à la mafia et aux carabinieris…
Sitôt débarqués, ils doivent reprendre le bateau pour gagner Ellis Island, espérant y décrocher le précieux sésame pour l’Amérique… Mais leur parcours sera semé d’embûches… Pour avoir voulu prêter assistance à Guiseppe, il est refoulé avec ce dernier… C’est alors que Vitto, un avocat véreux, lui propose son aide… en échange, Tonio devrait travailler pour lui en tant que rabatteur auprès des migrants… Après bien des tergiversations mais portant l’espoir de son village, il finit par accepter le marché…
Après le
Train des Orphelins, Philippe Charlot s’intéresse une fois encore au sort des déracinés, obligés de tout quitter dans l’espoir d’une vie meilleure. Leurs rêves et leurs aspirations s’incarnent à Ellis Island, point de passage obligé pour les migrants venus du Vieux Continent située à quelques encâblures à peine de Liberty Island que surplombe la Statue de la Liberté… Entre 1892 et 1954, près de douze millions d’immigrants y sont venus des quatre coins du monde pour atteindre leur Terre Promise. Les hommes et femmes qui y ont transités sont un concentré de l’histoire de la première moitié du XXe siècle.
Comme à son habitude, pour nous conter la grande histoire, le scénariste se place à hauteur d’homme, en dépeignant le destin de deux migrants venus chacun pour des raisons très différentes… L’histoire est remarquablement construite, avec des flashbacks finement ciselés qui viennent préciser les enjeux du récit et l’espoir de tout un village qui pèse sur les épaules du jeune Tonio. Le genre de contrainte qui vous rend redevable et peut vous pousser à prendre des chemins détournés pour ne pas trahir la confiance que d’autres ont placé en vous… Antinomiques et complémentaires, Tonio et Guiseppe s’avèrent particulièrement touchants, chacun à leur façon, et, l’espace d’un album, on partage leurs rêves et leurs aspirations, leurs craintes et leurs tourments…
Mais c’est la foisonnante galerie de personnages secondaires qui confère force et charmes à l’album et permet à l’auteur de composer le portrait subtil et contrasté d’Ellis Island, une micro-société régie par des règles complexes et tortueuses pleines de profiteurs prêts à faire fortune en exploitant la misère de leurs pairs.
Pour mettre en images ce récits entraînant et intimiste, Philippe Charlot retrouve Miras avec qui il a signé le touchant
Harmonijka… Et, fidèle a lui-même, l’artiste a une fois encore changé de style pour servir au mieux cette histoire… C’est d’abord cette formidable couverture qui attire l’œil du chaland et qui montre, à l’ombre de la Statue de la Liberté, une poignée de migrants anonymes qu’on devine fraîchement débarqué sur Ellis Island, espérant pouvoir poser leurs valises sur cette Amérique, source de tous les fantasmes… Les planches de l’album sont tout juste somptueuses… Construites avec soin, leur lecture s’avère d’une très grande fluidité et l’auteur n’a pas son pareil pour placer sa caméra à hauteur d’homme, esquissant le portrait d’une poignée de personnages profondément et tragiquement humains avec leurs parts d’ombre ou de lumière… L’artiste nous montre de saisissants visuels d’Ellis Island, île de contrastes où se côtoient rêves et espoirs déchus et baigne chacune de ses cases d’une lumière savamment étudiée…
Complété par un intéressant dossier didactique mêlant illustrations et photographies d’époque, ce premier tome d’Ellis Island amorce un récit entraînant et remarquablement orchestré…
Philippe Charlot nous raconte le destin de deux migrants antinomiques et complémentaires fraîchement débarqués en Amérique pour échapper à leur destin ou commencer une nouvelle vie… On partage leurs espoirs, leurs doutes etleurs tourments alors que l’administration américaine semble désireuse de les renvoyer dans leurs pays et qu’une main secourable leur propose une aide pour le moins intéressée…
Miras signe des planches somptueuses tout à la fois remarquablement bien construites et admirablement mises en couleur… Ses subtils pinceaux mettent en scène avec finesse et une désarmante facilité les émotions qui assaillent les différents protagonistes de l’histoire, rendant ce premier tome aussi touchant que bouleversant…
Bienvenue en Amérique ! est un album superbe et captivant qui nous dresse un portrait saisissant et très contrasté de l’Amérique du début du XXe siècle qui nous parle aussi de notre époque…
- Regarde les partir pour Ne-York !
- Pas un gringalet, pas un bras cassé, pas un veillard… Tu vois, Tonio, ton monde parfait, il est fait pour les gens parfait.
- Interdit aux estropiés comme moi !
- Et aux imbéciles dans mon genre…dialogue entre Tonio et Guiseppe