



La nuit est tombée sur la capitale. Une silhouette féminine marche sur les toits de Paris avec une aisance féline. Faisant fi du système de sécurité, elle s’introduit dans un hôtel particulier appartenant manifestement à un collectionneur pour y dérober un collier antique… L’homme qu’elle cambriole n’est autre que son employeur du moment : le sulfureux Argonovitch… S’il n’est pas du genre à accorder sa confiance à n’importe qui, elle aime à savoir pour qui elle travaille…
Argonovitch la charge de dérober un somptueux bijou égyptien qui aurait appartenu à Ay, successeur de Toutânkhamon… Si elle parvient à dérober le collier, Linn, femme solitaire et un brin asociale, ignore que ce larcin va l’entraîner dans une aventure rocambolesque qui dépasse l’entendement et ébranlera ses certitudes…
Alors que la (superbe !) couverture et laissait présager la récit contemporain, la première séquence de l’album déstabilise le lecteur en l’entraînant dans un grand siècle uchronique teinté de fantastique. On y découvre un étrange personnage masqué qui semble commander à des hordes de démons… Se faisant appeler le Maître de la Peur, il projette d’ouvrir les portes de Paris à ces créatures infernales pour qu’elles fassent régner la terreur dans ses ruelles sombres et étroites…

La seconde séquence nous entraîne à notre époque à la suite de Linn. Ces deux récits vont s’alterner, impulsant un rythme soutenu à l’histoire et esquissant les contours de deux réalités qui vont bien évidemment se rejoindre et se télescoper lorsque Linn, pour échapper à son employeur qu’elle a cherché à entourlouper, s’engouffre dans une étrange porte ornée de hiéroglyphes égyptiens qui la fera basculer dans la réalité alternative précédemment esquissée…
Chacun des personnages s’avère tout juste parfait dans son rôle, de la voleuse un peu paumée en passant par le sinistre Maître de la Peur, le collectionneur obsessionnel, l’héroïque Chevalier Cerf ou l’intrigante et troublante Lamia, chacun contribuant, à sa faon, au plaisir que l’on ne peut que ressentir à la lecture de ce premier opus…
Si ce récit écartelé entre deux époques évoque tout d’abord la brillante
Ballade ou bout du monde de Makyo, le scénario baroque et entraînant de Stephen Desberg s’en situe nous entraîne dans un tout autre univers… De son Grand Siècle uchronique obscurantiste en passant par les ramifications de l’intrigue qui nous entraîne dans l’Egypte ancienne aux sources du monothéisme (et, qui sait, de la vie éternelle ?), il se dégage de ce premier tome une énergie si sombrement envoûtante qu’on regrette presque que ce récit ne soit qu’un diptyque…

Car, outre l’histoire bougrement originale et indéniablement intrigante, il y a le dessin élégant et virtuose de Yannick Corboz dont chaque album est un enchantement pour les mirettes… Du rafraîchissant et poétique
Célestin Gobe-Lune en passant par le saisissant
Assassin qu'elle mérite (tous deux scénarisé par le talentueux Wilfrid Lupano), le trait souple et sensuel de l’artiste fait une nouvelle fois merveille, d’autant que sa colorisation aussi subtile que soignée joue avec art avec les ombres et les lumières… Ses compositions sont de toutes beauté et le dessinateur fait montre d’un sens de l’épure bluffant, esquissant juste ce qu’il faut les décors pour en retranscrire l’atmosphère…
Le cahier graphique accompagnant l’album permet de prendre la mesure de cet artiste impressionnant même si on ne peut qu’être frustré qu’il ne fasse que quelques pages tant on apprécie son travail… On peut se consoler avec la version en noir et blanc qui nous dévoile une autre facette des multiples talents de Yannick Corboz… Entre les deux laquelle choisir ? Les amateurs du dessinateur prendront les deux les yeux fermés… S’ils se dépêchent ! Car la version en N&B, limitée à 1200 exemplaires, est en déjà quasiment épuisée…

La Voleuse est l’occasion de découvrir Stephen Desberg dans un registre où on ne l’attendait pas… Le scénariste d’IR$, du Scoprion ou de Black Op nous livre un scénario envoûtant mêlant aventure, mysticisme et fantastique avec audace et inventivité…
Son scénario est superbement mis en images par le trait virtuose et sensuel et les couleurs envoûtantes de Yannick Corboz, dessinateur virtuose dont le saisissant talent force l’admiration et dont le style s’adapte une fois de plus avec art au propos…
Ecartelé entre deux époques, les récits croisés se télescopent, formant un tout dense et vertigineux dont on regrette presque qu’il s’achève dans le prochain opus tant il semble y avoir matière à une série d’envergure…
Pour l’originalité de son univers, le rythme soutenu du scénario, ses personnages hauts en couleur et sa somptueuse mise en image, ces Rivières du Passé nous ont littéralement envoûtés et nous ne pouvons que vous en recommander chaudement la lecture…
Etrange collection de superbes manifestations de la vie éternelle, protégées par un système d’alarme complètement démodé. De très rares momies d’oiseaux, arrangées autour d’une statuette… Qui est plus que probablement… un faux ! Etrange Monsieur Argonovitch. Qui a la réputation d’être extrêmement dangereux. Qui pourtant se laisse tromper… Et se laisse voler.Linn