La Grande Guerre avait vidé leur île et seuls restaient les enfants, les vieillard et Maël, seul homme à ne pas avoir été mobilisé à cause de son pied-bot… Après être devenue le facteur qui apportaient aux promises, fiancées ou épouses les lettres des poilus, qu’il ouvre et censure pour épargner les iliennes, il est devenu leur amant, papillonnant de l’une à l’autre sans qu’elles le sachent…
Mais, comme les pires, les meilleures choses ont une fin… La guerre s’acheva le 11 novembre et cette date allait marquer la fin de la liberté et de l’insouciance des femmes de l’île bretonne… D’autant que si Maël ne semblait pas décidé à se retirer de leur vie… Et elles commirent l’irréparable en sabotant son vélo, provoquant, la mort dans l’âme, le décès de celui qui fut leur amant durant les longues années de guerre…
Les années ont passé et toutes ont appris à vivre avec le poids de la culpabilité et du secret… Mais toutes n’ont pas pour autant renoncé à la liberté à laquelle elles ont pris goût durant cette parenthèse… alors que leurs hommes, revenus cabossés de la guerre, comprennent mal et ne comprennent pas leur besoin de reconnaissance et d’indépendance…
Arrivant presque avec le printemps, ce second tome de
Facteur pour femmes est une des délicieuses surprises de ce mois de mars… Il y a cinq ans, déjà, nous avions été enchantés par le premier volet de ce récit écrit par la plume sensible et touchante d’humanité de Didier Quella-Guyot et mis en image par les pinceaux subtiles et délicats de Sébastien Morice… Une surprise ? Indéniablement car le récit devait être un one-shot…
Mais il est vrai qu’une fois l’album refermé, le lecteur ne pouvait que se demander ce qu’était devenu cette poignée de femme désormais unies par le poids du secret et qui devraient réapprendre à vivre, différemment… Allaient-elle rentrer dans le rang et accepter de subir le joug que la société patriarcale de l’époque leur imposait ? Ou, après avoir gouté à la liberté, parviendrait-elle à s’émanciper de leurs hommes et à vivre selon leurs aspirations… Le facteur n’étant plus, les femmes occupent les devant de la scène, tentant de préserver un secret qui prend l’eau de toute part…
Avec la sensibilité qui le caractérise, Didier Quella-Guyot tisse un récit captivant dans lequel nous retrouvons bien évidemment Linette et ces femmes qui aimèrent, chacune à leur façon le facteur au pied-bot, et qui par peur du scandale et du déshonneur, par jalousie aussi peut-être, l’ont envoyé dans la tombe… Plus pesante que dans le premier tome, l’ambiance n’est pas sans évoquer celle de
La Maison Assassinée, adapté par Georges Lautner : le huis clos, le poids des remords et des secrets avec lesquels il faut bien apprendre à vivre, les personnages tragiquement humains… et le passé qui hante tout un chacun et remonte à la surface, inexorablement… Autant d’élément que l’on retrouve dans le roman envoûtant et ensorcelant de Pierre Magnan comme dans ce second opus de
Facteur pour femmes.
De nouveaux personnages permettent à l’auteur de porter un regard distancié sur les évènements, tel ce curé chez qui de simples guillemets feront naître l’ombre d’un soupçon… L’histoire, qui prend par moment des accents de polar, est remarquablement bien conduite, avec une montée en puissance savamment orchestrée… Comme une éclaircie après une nuit de tempête où bien des vies ont chaviré, la fin laisse poindre un rayon de soleil revigorant et salutaire…
Mais la force du récit réside surtout dans ces femmes qui, réagissant chacune à sa façon aux souvenirs douloureux, au poids de la culpabilité et à la peur de voir révélé leur secret et qui n’acceptent plus de voir des hommes leur dicter leur conduite et régenter leur vie, esquissant un portrait saisissant de la condition féminine après-guerre… A travers cette fiction intimiste, l’auteur dépeint une société en pleine mutation, même si le chemin à parcourir était encore long… Si long que de nos jours encore on n’en voit toujours pas le bout…
Succéder au dessin à Sébastien Morice n’était pas une mince affaire tant l’artiste avait marqué l’histoire du facteur de son empreinte, avec son trait généreux, ses compositions soignées et ses couleurs un brin irréelle qui soulignaient avec finesse l’émotion de chaque scène… Emmanuel Cassier (qui fut lui-même facteur !) s’en sort néanmoins avec les honneurs. S’il met en scène des personnages et des lieux imaginés par un autre, il n’a pas cherché à copier le style de son prédécesseur, apportant une part de sa personnalité au récit… Ses compositions et ses cadrages audacieux nous entraînent sur cette île bretonne dont il parvient subtilement à retranscrire l’atmosphère alors que ses pinceaux font ressortir l’humanité et les tourments de chacun des personnages… Le cahier graphique proposé en fin d’album permet de mieux apprécier encore le travail réalisé par le dessinateur…
Nous n’attendions pas ce second tome de Facteur pour femmes mais, dès les premières pages, cet album s’impose pourtant comme une évidence.
Le premier volet refermé, on ne pouvait que se demander quelles seraient la vie de ces iliennes devenues meurtrière, une fois leurs hommes revenus du front… Comment parviendraient-elles à vivre avec le poids écrasant de ce secret partagé et comment se ferait leur retour à une vie ordinaire de femme, à une époque où la société les assujettissaient à l’homme… Ce second tome répond à toutes ces questions avec une intrigue solidement charpentée portée par des personnages confondants de justesse…
Avec la sensibilité qu’on lui connaît, Didier Quella-Guyot remet en scène ces femmes alors que les premières dissentions apparaissent lorsque la vérité commence à ressurgir des brumes du passé… Emmanuel Cassier s’acquitte avec les honneurs de la lourde tâche de succéder au talentueux Sébastien Morice, retranscrivant avec force les émotions et les passions qui animent les personnages…
Sensible et délicat, ce second opus complète et parachève de façon saisissante un récit bouleversant…
Il fallait oublier le petit facteur et penser à refaire sa vie... comme si ça se refaisait, la vie, comme i c'était pas la vie qui nous faisait de bric et de broc, d'étales en ressacs, à coups de cinglantes déferlantes... Et surtout, surtout, certaines devraient camoufler ce qu'elles avaient appris de l'amour. Simuler l'épouse aimante. Rejouer la fiancée éternelle. Réinventer la vierge effarouchée, faire mine de découvrir. Comme si ça n'allait pas se voir pour certaines, qu'elles avaient appris à caresser le corps d'un homme... d'un autre homme...la narratrice