


Irlande, de nos jours… Un homme loue une petite masure sur les terres que son ancêtre a dû quitter pour fuir la misère et la famine qui ravageait leur pays…
Lorsqu’il se rend au pub du village, Rosie, la bibliothécaire de la bourgade le reconnais aussitôt : c’est James Sullivan, l’écrivain à succès dont elle admire l’œuvre… De fil en aiguille, ils se lient d’amitié et le romancier lui confie la raison de sa présence au Connemara : il s’est installé ici pour s’imprégner de l’atmosphère de ces terres qui ont vu naître ses ancêtres et retracer la vie de Mary-Maë, sa plus lointaine aïeule, qui a quitté l’Irlande enceinte en 1847, à bord d’un de ces bateaux-cercueil qui emmenait les émigrés irlandais vers leur Terre Promise…
Car le prochain roman de James Sullivan sera consacré à raconter la vie de ses ancêtres…
La série aurait pu se contenter de nous raconter l’histoire d’une famille irlandaise abandonnant tout pour l’espoir d’une vie moins misérable de l’autre côté de l’Océan Atlantique…

Cela aurait donné lieu à un récit édifiant et bouleversant, prenant un destin individuel pour retracer un drame collectif…
Mais Rodolphe n’est pas scénariste à se laisser aller à la facilité. La structure narrative de son récit le rend particulièrement touchant… L’idée de faire de l’histoire de Mary-Maë un récit enchâssé dans un autre fonctionne merveilleusement bien, renforçant avec force la dramaturgie du récit. On se laisse littéralement entraîner tant par l’histoire de James Sullivan qui cherche à écrire celle de son aïeule à partir de la matière dont il dispose et des éléments qu’il parvient à glaner sur place avec l’aide de Rosie que par celle de Mary-Maë… Ces récits alternés impriment un rythme lancinant et délicieusement mélancolique à l’album et l’on s’attache aux différents personnages, notamment à celui de l’ancêtre qui symbolise tous ces hommes et femmes qui ont tout abandonné, souvenirs, terres et morts comme le souligne l’auteur, pour le grand inconnu…
Mais ce retour aux sources qu’entreprend James Sullivan permet aussi à Rodolphe d’entraîner le lecteur dans la genèse d’une histoire, de comprendre comment les différents éléments peuvent se mettre en place, entre le cade historique, les faits avérés et le travail de création qui combles les lacunes et comment tout cela s’organise pour servir au mieux la dramaturgie du récit…
Sublimé par une mise en couleur subtile, le dessin sensible et délicat de Marc-Renier fait une fois de plus merveille…

Sous ses pinceaux l’Irlande devient un personnage à part entière du récit tant ses visuels entrent en résonnance avec l’émotion des différents personnages qu’il met en scène avec virtuosité… Difficile de ne pas être séduit par la fluidité de son découpage, la pertinence de ses cadrages qui lui permettent de retranscrire avec force les états d’âmes de James Sullivan, de Mary-Maë ou de son fils.
Remarquablement bien écrit, O'sullivan nous entraîne dans le sillage d’un écrivain à succès désireux de renouer avec son passé familial pour écrire son prochain roman…
A travers l’histoire de Mary-Maë, somptueusement mis en image par le trait sensible et délicat de Marc-Renier, Rodolphe nous raconte le destin poignant de centaines de milliers d’Irlandais contraint d’émigrer vers le Nouveau Monde pour échapper à la misère et à la famine… Mais il nous entraîne aussi dans les coulisses de l’écriture d’une œuvre, montrant comment le romancier utilise la matière première dont il dispose, enquête pour combler les lacunes et invente pour tisser son histoire romanesque…
Il fallait que je m’imprègne des lieux, que je m’imbibe de l’endroit ! Sa musique, ses odeurs, le piquant du vent, du sable et du sel… Et puis que je tente ce saut dans le temps… Que Marie-Maë prenne un visage…James Sullivan