Irlande. Un brin désabusé, le curé de la petite bourgade de Kilkenny a pris pour habitude d’essayer ses sermons sur les moutons qui paissent paisiblement dans le pré situé derrière l’église… Chaque jour, les ovidés viennent boire ses paroles auxquelles ils ne comprennent rien et manger avec délectations les friandises que leur apporte le curé… Pour certains d’entre eux, il est clair que l’homme vêtu de noir n’est autre que Dieu lui-même… D’autres restent dubitatif et arguent que Dieu serait sans doute plus généreux en matière de victuailles ?
Les habitants du cru sont, quant à eux, très divisés sur l’existence du Pinky Clover, un pub adossé au mur de l’église paroissiale… Entre les bigots qui arborent ce lieu de perdition trop proche de leur lieu saint et les autres qui n’en ont cure tant que la bière est bonne, la tension est palpable…
Mais un matin, l’homme en noir ne vient pas prêcher pour ses fidèles moutons… Assisté d’un écureuil, un hibou vieux et sage va mener l’enquête pour savoir ce qui est arrivé au curé alors que les tensions vont s’exacerber, tant dans la communauté des villageois que dans celle des ovidés...
La surprenante couverture est de celle qui attire l’œil tant il est difficile de savoir de quoi parle le livre, avec cette scène bucolique ou un curé semble garder son troupeau, non métaphoriquement, alors qu’un bélier passablement inquiétant nous jette un regard plus que courroucé…
Didier Crisse nous entraîne dans un récit truculent alliant légèreté et gravité et évoquant la délicieuse atmosphère du
Clochemerle de Gabriel Chevallier ou des histoires de Marcel Pagnol avec ces personnages hauts en couleur au verbe haut et aux réparties irrésistibles… De leur côté, les bestioles ne sont pas sans évoquer celles de
la Ferme des Animaux de George Orwell qui nous présente un miroir (à peine) déformé de notre humanité, égratignant gentiment les croyances religieuses…
Mais l’originalité de son récit tient dans le fait qu’il nous propose une double intrigue entrecroisée : l’une se déroulant du côté des villageois, l’autre du côté des animaux et plus particulièrement des moutons… Confronté à un drame commun (la disparition tragique de leur curé / Dieu incarné), chacun va voir l’esprit des membres de sa communauté s’échauffer (voire carrément s’enflammer !), seul le hibou, vieux et sage, et son acolyte écureuil semblant garder la tête froide… On va ainsi voir les moutons se diviser autour de la dééité de l’homme en noir et désigner comme il se doit un bouc émissaire, il est vrai tout indiqué… Du côté des humains, la disparition du représentant de Dieu dans cette terre isolée va réveiller une vieille et ancestrales querelle autour de la construction interlope d’un pub contre le mur de l’église… Et les similitudes entre ces différents antagonismes s’avèrent pour le moins croquignolesques !
Si on n’attendait pas Didier Crisse dans ce registre champêtre et bucolique, il en va de même pour son comparse dessinateur ! Mais Christian Paty fait montre de son talent en mettant en scène ce scénario aussi champêtre que jubilatoire. Son sens de la composition fait une nouvelle fois merveille et l’artiste nous offre des visuels impressionnants et somptueux et des angles particulièrement audacieux. Si ses personnages s’avèrent particulièrement expressifs, le dessinateur de
Damoiselle Gorge ou de
la Cicatrice du Souvenir (respectivement scénarisé par Tiburce Oger et Ange) impressionne par sa capacité à faire passer des sentiments très humains chez nos amis les bêtes, à commencer par ses moutons qui s’avèrent particulièrement drôles et irrésistibles…
Didier Crisse et Christian Paty nous proposent un récit bucolique et délicieusement rafraîchissant qui nous entraîne dans une petite bourgade irlandaise dont le quotidien va être bouleversée par la tragique disparition de son curé…
Alors que les humains vont se déchirer à propos du Pink Clover, un pub adossé à l’église, les moutons vont le faire à propos de la déité du curé qu’ils appellent l’homme en noir… avant que chacun désigne un bouc émissaire qu’ils pourront charger de tous les maux…
Un album iconoclaste et surprenant qui s’inscrit dans la lignée des récits de Pagnol dont les personnages croiseraient ceux les animaux de la Ferme d’Orwell.
- L’homme en noir ne viendra pas aujourd’hui. Ni demain… Il est mort !
- Mort ? Vous en êtes sûrs ? Comment le savez-vous ?
- Quand je volais autour de la grande maison de pierre, j’ai vu les hommes s’agiter de façon inhabituelle. Ils en ont sorti l’homme en noir inconscient.
- Si vous dites vrai, je dois prévenir les moutons…
- Surtout pas ! Si j’ai raison, il ne sera pas bon de leur annoncer. Celui qui apporte de mauvaises nouvelles est toujours pris en grippe… Bêtes comme ils sont, ils vont se retourner contre toi et t’en vouloir. Il vaut mieux qu’ils le comprennent tout seuls.dialogue entre le hibou et l’écureuil