En voilà un album intrigant… Avec sa couv’ joyeusement barrée et ce Berni revisité à la sauce Bob le bricoleur occupant la première place, on se demande bien quel peut être le sujet de l’album… Même si le titre peut légitimement mettre la puce à l’oreille…
La première planche est assez sage… La scène se passe à Paris dont un lecteur attentif verra qu’il n’y roule nulle voiture, bus ou véhicule de quelque sorte que ce soit… Une banale bande de potes semble chercher un grand appart à squatter pour organiser une grande fête clandestine… Et si le look du héros fait clairement penser à Naruto, tout semble à peu près normal.. Mais les choses dérapent à la dernière case lorsqu’une dame élégante sort un pointe un Saï sur la gorge du barman entreprenant qu’elle semble soupçonner d’être un sérial killer… Et dès la seconde planche, ça tourne au délire, avec duel à l’arme blanche violent et totalement azimuté qui s’achève par la mort sanglante du barman… On comprend bien vite que si on est bien à Paris, la ville des lumières n’a que peu de chose à voir avec la cité que l’on connaît…
L’action se déroule dans un futur proche alors qu’une catastrophe a mis fin à la civilisation telle qu’on la connaît… Pas de bagnole, pas de police, pas vraiment de justice, si ce n’est celle de l’épée et la loi du Talion… La capitale est à feu et à sang, partagée entre gangs, triades, politiques, religieux et autres mafias…
Au sommet de la pyramide : Maman, une veille dame qui tient la ville dans le creux de sa main car créancière incontournable… Elle note scrupuleusement dans un petit carnet bleu les sommes qu’on lui doit et la date de leur échéance… Oui mais voilà, l’appartement que va trouver la bande de potes suscitée s’avère être celui de cette boss de la pègre qui s’est accordée, pour la première (et la dernière fois !) de sa longue vie, quelques jours de vacances… et ils ont eu la bonne idée de le vider de ses meubles pour renflouer leurs finances… Privant Maman de son fameux petit carnet qui pallie à sa mémoire défaillante !
Tout ce que Paris compte de gangs mafieux, de tueurs sans foi ni loi et de vauriens de la pire espèce va vouloir mettre la main sur ce précieux carnet ! Déclenchant au passage un sacré bordel qui va rendre l’avenir de Cid et Nathan particulièrement incertain.
Le scénario azimuté de Tristan Roulot pourrait s’inscrire dans une veine classique : un objet convoité par tous déclenche une guerre des gangs… Mais l’univers iconoclaste dans lequel il se déroule change délicieusement la donne… et force est de reconnaître que les combats à l’épée sont quand même vachement plus classes que des fusillades et explosions pyrotechniques !
Mais la force de l’album réside indéniablement dans ses personnages totalement atypiques, voire franchement ravagés… Il y a bien sûr Maman, Marraine (version féminine et grabataire -enfin pas tant que ça- du Parrain de Coppola) inquiétante mais sympathique qui fait torturer et qui trucide à tour de bras mais offre avec sourire et tendresse des confitures faite maison à ses clients et partenaires… Et il y a le Prospecteur, tueur à gage implacable et efficace dont les allures d’échappé de l’asile d’aliénés le plus proche posent question… Et ce professeur d’escrime, élégant et distingué qui consacre sa vie à l’écriture du traité d’escrime ultime et qui n’est pas sans évoquer le Maître d’Escrime d’Arturo Perez Reverte… Et que dire de ce maire machiavélique aux apparences de Jean d’Ormesson ? Ou ce gentlemen-assassin collectionneur suivit par son domestique qui trimballe ses armes façon caddie de golf… Librement inspiré du délicieux
Monsieur de Thomas Fersen ? Sans oublier Amjad, le guerrier rasta déchu ou cet étrange SdF qui consomme la vengeance glacée… ou Cid, jeune con insouciant qui fonce droit dans les emmerdes sans même en avoir conscience… Oui, vraiment, les personnages de Tristan Roulot sont jubilatoires et seraient presque attachants s’ils n’étaient pas (presque) tous de dangereux psychopathes ! D’ailleurs, ils semblent pour certains tout droit sortis d’une partie de Jeu de Rôle tant ils sont flamboyants et joyeusement barrés…
Son complice, Corentin Martinage avec qui il a signé une dizaine de tomes de l’irrésistible
Goblins (renforçant la filiation rôlistique de l’inspiration) fait montre d’un dessin semi-réaliste parfaitement maîtrisé. Ses personnages sont expressifs à souhait et ils les animent avec art avec un trait semi-réaliste nerveux et inspiré qui lorgne clairement vers l’anim japonaise… Courtes et efficaces, ses scènes d’action et de combat s’avèrent être percutantes et parfaitement maîtrisées… Son travail sur le character design est une petite merveille et contribue à poser chacun des personnages haut-en couleur qui peuplent ce récit… Et, à la lecture de l’album, on se dit qu’on aimerait furieusement et lire une suite à cet histoire incroyablement fun et qu’une adaptation en série d’animation serait une excellente idée tant l’univers décalé et foisonnant de la série donne envie de s’y replonger !
Porté par un scénario à grand spectacle tout à la fois fun et débridé que l’on pourrait qualifier de tarantinesque, avec son lot de personnages joyeusement barrés, et servit par le dessin dynamique et expressif de Corentin Martinage, Psykoparis est un divertissement certes sanglant et violent mais aussi et surtout follement jubilatoire et indéniablement rafraîchissant…
Quelle heureuse idée d’avoir achevé ce récit iconoclaste amorcé en 2011 (putain, dix ans !!!) et qui semblait depuis abandonné, laissant de nombreux fans (en gros tous ceux qui ont eu la chance de le lire !) un brin frustrés, voire avec des envies de meurtres, histoire de faire couleur locale… Doté d’une pagination généreuse (près de 116 pages !), ce récit de Tristan Roulot vous entraînera dans un univers uchronique azimuté et décalé, un Paris futuriste dénué de technologie et de force de l’ordre où chacun se ballade avec une lame pour protéger sa peau…
Si le récit vous fera passer un très agréable moment de lecture, on en sort un brin frustré tant on sent que les auteurs avaient potentiellement encore plein de choses à nous raconter, de multiples arcs narratifs à prolonger et de nombreux personnages à développer… Citons pêle-mêle le Prostpecteur, Monsieur Paul, Amjad, la ville sous la ville, les intrigues politico-religieuses et j’en passe ! L’univers foisonnant est véritablement unique et ne ressemble à rien de connu… Et tant de mystères subsistent ! On en redemande, clairement…
Une énorme surprise et un énorme coup de cœur qui, par son ambiance décalée n’est pas sans évoquer le non moins jubilatoire Il faut flinguer Ramirez de Nicolas Petrimaux… dans un registre très différent toutefois ! Mais tout aussi fun et violent !