Le roi et son mari auraient pu couler des jours paisibles si les rumeurs d’une rébellion impromptue n’étaient pas venues à ses royales oreilles par le truchement d’un messager apeuré : les animaux de la basse-cour refusent désormais qu’on les mange !
S’il est d’abord tenté de lancer son armée mater cette révolte incongrue, il se range à l’avis avisé de son fidèle et félin chambellan et accepte que ce dernier se rende dans ladite ferme accompagné du chef cuisinier pour comprendre ce dont il retourne…
Fin diplomate, il écoute les étranges et incongrues doléances de la basse-cour, par ailleurs organisée de façon très démocratique, et comprend qu’ovidés, bovidés, porcins, anatidaes et autres gallinacées sont prête à défendre leur liberté toute neuve et menacent de trucider fermier et fermière s’ils n’obtiennent pas satisfaction…
Sur le chemin du retour, il croise le loup, la renard et la belette qui voient d’un mauvais œil la nouvelle organisation de la ferme qui les empêche d’y dérober leurs victuailles… Comprenant que rien ne fera changer d’avis les révoltés et que tout négociation est vouée à l’échec, Robilar accepte qu’un raid soit organisé par ces brigands et leurs compagnons des territoires voisins… Mais, là encore, rien ne se déroulera comme prévu…
Difficile de comprendre comment une série si jubilatoire puisse s’arrêter, comme cela au troisième tome… Intelligente, bien écrite et truffée de références drolatiques, elle revisitait pourtant de particulièrement façon truculente et savoureuse le célèbre conte de Charles Perrault… ou tout au moins remettait son héros, le Maître Chat donc, en selle pour de nouvelles et rocambolesques aventures. Après deux tomes irrésistibles et joyeusement déjanté, c’est peu dire que l’on attendait ce troisième opus avec impatience… Mais c’est l’œil humide que nous avons entamé sa lecture puisque le scénariste (David Chauvel pour ne pas le nommer) avait annoncé que ce serait l’ultime récit de Robilar… Bref, nous sommes chagrins…
Dans Fort Animo nous allons donc suivre les pérégrinations du fameux chat, diplomate mais lucide, empêtré dans une étrange rébellion des animaux de la ferme qui, après avoir vu l’un des leurs trucidé devant leurs yeux effarés par le fermier ont décidé qu’il fallait mettre un terme à ces horreurs indicibles et obliger les humains à ne plus manger que des légumes insipides. On voit bien sûr la référence au roman satyrique de George Orwell mais revisité avec un humour féroce et irrévérencieux. L’album est littéralement truffé de scènes joliment troussées : assemblée générales animalières et ses intervenants hauts en couleur ; constat, amer, que les expressions idiomatiques dont, singeant (;-P) les humains, ils usent à tout va ne font que se moquer de leurs pairs ; procès du fermier qui, pour se défendre, pointe du doigt leur hypocrisie ; sans oublier les trahisons croquignolesques et autre détournement abusif et sans vergogne de folklore breton… Le tout porté par des animaux forts en gueule qui défendent leur bifteck (pas taper !) et leur point de vue avec force et conviction… David Chauvel fait une nouvelle fois montre de son comique de situation et d’un humour mordant et ravageur bougrement efficace, multipliant les références, notamment aux défenseurs de la cause animale (L214, si tu nous entends).
Mais si l’album est aussi jubilatoire, le dessin follement expressif de Sylvain Guinebaud n’y est certes pas étranger ! Loin s’en faut même ! Ses crayons donnent vie à une foule de personnages animaliers biens campés si expressifs qu’ils en paraissent presque humains, rendant leurs revendications plus légitimes encore. Ses cadrages dynamisent le récit de façon particulièrement bluffante, renforçant l’aspect irrésistiblement comique de chaque scène. La mise en couleur soignée du talentueux Lou rehausse l’encrage délicat des planches et rend l’album particulièrement agréable à lire… On notera par ailleurs que le nom du coloriste figure en bonne place sur la couverture de l’album… Pratique qui n’est pas encore suffisamment répandue alors que les coloristes méritent d’être considérés comme auteurs à part entière tant leur travail contribue à l’impact d’un album…
Décevant… Tout simplement décevant… Non pas l’album, rassurez-vous ! Porté par des personnages truculents et des animaux révolutionnaires tragiquement humains, des dialogues drolatiquement irrésistibles, des situations cocasses et incongrues et un dessin énergique et follement expressif, ce troisième tome s’avère tout aussi bon que les deux précédents. Meilleur même peut-être… Et ce n’est pas peu dire… et ce n’est pas tous les jours qu’on peut lire un conte de vegan-fantasy !
Non, la déception est de savoir que nous venons de lire l’ultime aventure de ce chat roublard, rusé comme un renard, menteur comme un arracheur de dents, fin diplomate et politique avisé qui a vu son ultime mission sabotée par un plus fieffé coquin que lui… Robilar le Maistre Chat tire donc sa révérence… Le rideau tombe… hélas… mais que la pièce était drôle et belle !
Applaudissons à tout rompre David Chauvel, le dramaturge, et Sylvain Guinebaud, accessoiriste, metteur en scène costumier et chef décorateur ainsi que son talentueux assistant, Lou, pour les remercier du plaisir que nous avons pris à lire chacun des tomes de cette série qui n’a pour seul défaut, celui d’être finie… à présent, vous pouvez sortir vos mouchoirs…
- Z’êtes ben gai, Seigneur Chambella…
- Ma foi…
- Sauf vot’respect, quequ’chose me dit que vous l’serez moins après avoir rencontré l’aut’ bande d’enragés…
- Enragés ?
- Enragés, exactement. Cette manière qu’ils avaient de le regarder, là… Surtout leurs chefs, le cochon et le canard… Rien qu’d’y penser, j’en ai ‘core des frissons dans l’dos.
- Vous avez donc peur d’un canard ?
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