Satchmo est un jeune garçon pauvre vivant à la Nouvelle-Orléans. Tout dévoué à une mère, une prostituée dépressive, il subit sans broncher ses sautes d’humeur. S’il tient le coup c’est grâce à sa passion pour le jazz qu’il écoute avec frénésie. Pour écouter King Joe, trompettiste virtuose se produisant dans le plus grand club de la ville, il doit ruser car les gosses comme lui n’ont pas le droit d’y entrer…
King Joe a pris ce gamin en affection et lui offre le cornet sur lequel il a appris à jouer. Ce sera le début d’une grande histoire et longue d’amour qui fera de lui l’un des meilleurs trompettistes de jazz d’Amérique.
Mais la vie réserve encore bien de mauvaises surprises à ce gamin plein de ressources qui s’est donné pour but de sauver sa mère… fut-ce d’elle-même…
La couverture est une petite merveille de composition qui donne d’emblée bougrement envie de se lancer dans la lecture de cet album à la pagination généreuse. Difficile de ne pas être littéralement happé par ce récit charpenté autour d’un personnage attachant s’inspirant très librement d’un certain Louis Armstrong. Les connaisseurs percevront sans peine les motifs empruntés à la vie de Satchmo, l’un des surnoms d’Armstrong : son quartier miséreux miné par la violence et la prostitution, sa mère contrainte de vivre de ses charmes, son arrestation arbitraire, son apprentissage du cornet en foyer, son jeu de scène hallucinant ou sa rencontre avec Joe King qui allait changer sa vie…
Mais s’il s’est appuyé sur le génial trompettiste pour construire son personnage, Léo Heitz ne cherche pas à écrire un biopic anthropomorphique du célèbre trompettiste mais à tisser une histoire originale qui décortique la relation difonctionnelle entre un mère et son fils. La mère est si dépressive qu’elle n’est plus armée pour affronter le quotidien et préfère lâcher prise, laissant son jeune fils, débrouillard, assumer le rôle de chef de famille, envers et contre tous, et même contre sa propre mère. Violente et passionnée, leur relation impulse un rythme soutenu à cet album bouleversant et l’amour de Satchmo pour sa mère, parfois très maladroit, est le moteur de l’action. Baignée d’une sombre mélancolie néanmoins porteuse d’une (blue) note d’espoir, l’histoire concoctée par l’auteur est racontée avec tant de justesse et de passion qu’il est impossible de reposer l’album avant la dernière planche de la dernière des 172 pages…
Mais le récit brosse aussi un portrait saisissant de l’Amérique ségrégationniste des années 20. On y découvre par exemple que les musiciens afro-américains, inventeur du jazz, se faisaient voler leurs morceaux par des musiciens blancs faute de trouver un producteur acceptant d’enregistrer des musiciens de couleur. Le propos s’avère tout à la fois dur, âpre et violent mais aussi et surtout édifiant…
Et il y a ce dessin, tout à la fois puissant, fascinant et incroyablement immersif. Avec une facilité apparente désarmante, l’auteur parvient à poser avec subtilité cette atmosphère si particulière qui baigne le récit. L’artiste joue avec finesse des champs et des contrechamps comme des contre-jours. Justes esquissés, ses décors s’effacent parfois totalement pour laisser le devant de la scène aux seuls personnages, accentuant la dramaturgie de l’histoire de façon saisissante… L’auteur a indéniablement une démarche cinématographique dans son approche des cadrages et dans sa façon de faire évoluer ses personnages, rendant la lecture de l’album incroyablement fluide.
Dans l’Amérique des Années 20, un jeune gamin des quartiers pauvres de la Nouvelle-Orléans passionné de jazz se voit contraint de grandir trop vite pour être la béquille d’une mère qui a depuis longtemps baissé les bras.
Alors qu’il signe son tout premier album, difficile de ne pas être impressionné par les multiples talents de Léo Heitz. S’inspirant librement de la vie de Louis Armstrong, le récit s’avère parfaitement maîtrisé et, s’il parle de jazz, l’auteur ne laisse nulle place à l’improvisation, soignant sa narration et ses mises en scènes comme ses personnages et ses dialogues. Usant d’un vocabulaire très cinématographique, il compose des planches somptueuses et bougrement efficaces qui installent avec art une ambiance sombrement mélancolique tout en distillant une (blue) note d’espoir…
M’est avis que Léo Heitz fait partie des auteurs à suivre de près, au vu des qualités narratives et graphiques tout juste époustouflante de ce premier tome…
Maman était bizarre. Fallait faire gaffe parce qu’elle pouvait s’vexer et s’mettre à pleurer pour un rien…Satchmo
(*) Louis Armstrong