Sophie vivait heureuse, sans trop se poser des questions. Mais, un soir, alors qu’elle assistait au concert des Eagles of Death Metal, sa vie bascule…
Nous sommes le soir du 13 novembre 2015. Sophie s’affaire à se préparer pour ce concert qu’elle attend avec impatience puisque Josh, le chanteur des Queens of the Stones Age est aussi membre des Eagles. Le concert bat son plein. 21h40, les premiers coups de feus retentissent, des gens courent, tombent, hurlent. L’odeur de la poudre et du sang… Une douleur sourde lui déchire le mollet. Se coucher, se faire oublier… Ne pas croiser leur regard…
Sophie se réveille à l’hôpital. Une balle dans le mollet, une autre dans le bassin. Soit on lui enlève cette seconde balle en lui brisant le bassin, s’en suivra alors une longue rééducation. Soit elle vit avec et ne pourra plus passer d’IRM et sonnera aux portiques des aéroports… Sophie décide de vivre avec…
Vivre avec… avec les souvenirs terrifiants de cette soirée qui aurait dû être une fête. Vivre avec ce sentiment de culpabilité d’avoir survécu. Vivre avec la peur de sortir de chez soi, la peur des autres et la certitudes qu’ils vont revenir pour finir leur travail…
Ce funeste 13 novembre fait désormais partie de notre mémoire collective. Un acte terroriste barbare et indicible où des dizaines de personnes sont tombées sous les balles, victimes d’extrémistes persuadés de servir leur dieu en tuant des innocents. Mais, parmi les victimes, il y en a qui ont eu la chance de survivre… et de continuer à vivre avec sur la conscience le poids écrasant de leur culpabilité d’avoir survécu à ce drame…
A travers ce récit autobiographique, tout en pudeur et en retenue, Sophie Parra, secondée au scénario par Davy Mourier, nous raconte avec lucidité sa vie d’après, pointant la difficulté à avoir réchappé au pire et de réapprendre à vivre, malgré tout… Témoin de ces tragiques évènements, elle nous parle avec force de la façon dont le drame ressurgit dans son quotidien, la difficulté d’être considérée par tous comme une victime inspirant la compassion et la pitié, et ne plus être vraiment considérée comme un être humain ordinaire… L’écho des réseaux sociaux et les abjectes récupérations politiques; le moindre bruit synonyme d’angoisse; l’incompréhension des proches; le comportement hallucinant de certains psy censés l’aider à apaiser ses maux; les médocs; les écrans qui ne cessent de parler de la nuit du 13 novembre et de ses suites; ce Paris qui se réduit pour éviter les lieux de l’attentat; l’obligation de raconter, encore et encore, les évènements de cette nuit funeste, aux policiers, aux psys, aux avocats; les formulaires hallucinants qu’il lui faut rempli et les entrevues nécessaires pour prétendre à toucher le fond de garantie aux victimes d’attentats… Alors qu’on pouvait s’imaginer que l’Etat allait prendre en charge ces victimes, on se rend compte que le travail fourni est très loin d’être à la hauteur de leurs légitimes attentes…
La structure de l’album s’avère particulièrement subtile, les évènements du Bataclan nous étant raconté par bribes, au fil de ses discussions avec la police ou les soignants, entrant en écho avec ses visions récurrentes qui viennent l’assaillir… Davy Mourier a indéniablement fait un travail remarquable en mettant en scénario les propos de Sophie Parra, tout comme le dessin faussement naïf de Gery permet d’atténuer la noirceur du propos sans pour autant l’édulcorer. Le dessinateur parvient à retranscrire avec force les angoisses et les peurs de Sophie mais aussi ces petits bonheurs dont elle comprend, plus que tout autre, l’importance.
Après le 13 novembre est un récit autobiographique édifiant et bouleversant que tout un chacun devrait lire pour comprendre le drame que vivent les survivants du Bataclan.
Construit à quatre mains, le scénario de l’album s’avère tout juste parfait pour retranscrire les angoisses et les peurs, la culpabilité, les colères et la résilience d’une femme ordinaire plongée bien malgré elle dans des évènements tragiques dépassant l’entendement… Sans oublier les souvenirs qui remontent sans crier gare ou l’image qu’on vous renvoie et les hallucinantes et révoltantes tracasseries administratives et médicales auquel elle doit se confronter…
L’album est un témoignage beau, fort, salutaire et poignant, tout à la fois touchant et révoltant, d’une jeune femme ordinaire qui reprend goût à la vie…
- Pourquoi tu pleures ? Qu’est-ce qu’il se passe ?
- Mais tu vois pas leur regard ? Leur pitié… Toute ma vie, ça va être comme ça ? Je vais faire pitié jusqu’à ma mort ?dialogue entre Sophie et sa mères
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