Août 1914. Les hommes du village se résignent à partir au front pour une guerre dont beaucoup ne reviendront pas. Certains restent, trop vieux pour combattre où réformé à cause d’une main atrophiée, se laissant parfois ronger par l’aigreur et la haine.

Du haut de ses quinze ans, le jeune Joseph doit palier à l’absence de son père et s’occuper des travaux de la ferme avec sa mère et sa grand-mère. Sa vie allait connaître de profonds bouleversements alors que Valette, propriétaire de la ferme voisine, s’apprête à accueillir Hélène, la femme de son frère parti au front, et sa fille, Anna, venu se réfugier à la ferme…

Après Eté brûlant à Saint-Allaire dessiné par Daniel Casanave, Franck Bouysse associe sa plume à celle de Fabrice Colin, romancier, scénariste et auteur de jeux de rôle, pour tisser un récit intimiste et romanesque qui prend place durant la Grande Guerre que l’on ne fait que deviner à travers les mauvaises nouvelles venues du front…

A travers les portraits d’une poignée de personnages, hommes et femmes, jeunes ou vieux, les auteurs composent une fresque saisissante. Ils agissent avec eux comme les Parques, tissant, déroulant et tranchant le fil de ces vies fragiles lorsqu’elles arrivent à leurs termes. On y croise une femme dont la vie sra brisée par une lettre venue du front, un vieux monsieur ayant pris un jeune homme sous leur aile, un homme empli de haine de ne pouvoir combattre dans la boue des tranchées à cause de son infirmité, une citadine inadaptée à la vie campagnarde et aux travaux des champs, une bonne femme aux allures de sorcière et, au milieu de tout ce beau monde, deux jeunes gens encore insouciants qui vont se donner le droit de s’aimer en cette période tourmentée… Parviendront-ils à conserver l’innocence de leur jeunesse ?

S’inscrivant dans une veine naturaliste, ce roman graphique réaliste et poignant pose en filigrane une lancinante question : si le nom des soldats tombé au champ d’honneur pour défendre leur patrie ornent les monuments de chacune de nos villes et chacun de nos villages, qu’en est-il de ces vies brisées, de ces victimes collatérales oubliées par l’Histoire et dont les noms ont depuis longtemps disparu des mémoires ?

Après nous avoir conquis avec son fascinant Anatomiste (de Nicolas Tackian et Stéphane Miquel) et séduit par son adaptation du Joueur de Dostoïevski ou d’au Cœur des Ténèbres de Jospeh Conrad, Loïc Godart s’empare de ce récit pour mettre en scène des personnages bouleversants de justesse dont il retranscrit avec force la violence des émotions, de la haine la plus irraisonnée aux premiers émois amoureux de deux jeunes gens au sortir de l’enfance. Son travail sur les décors s’avère tout aussi envoûtant alors que ses couleurs subtiles et délicates soulignent les états d’âmes de chacun des protagonistes de cette fresque champêtre saisissante…

Franck Bouysse et Fabrice Colin associent leurs plumes alertes aux pinceaux délicats de Loïc Godart pour créer une fresque poignante qui nous conte les destins entremêlés des habitants d’un petit village du Cantal durant la Grande Guerre…

A travers ces destins, ces vies brisés, ses heures et malheurs, ces haines inexpugnables et ces amours innocents, les auteurs nous parlent de ces anonymes dont les noms ne figurent sur aucun des monuments érigés aux morts pour la patrie mais qui comptent pourtant parmi les victimes de la guerre, tant ils ont souffert de ce sinistre conflit, et dans leurs corps et dans leurs âmes…

Glaise est un roman graphique simple, délicat et intimiste à côté duquel il serait bien dommage de passer…

- Tiens ! Te voilà toi.
- Bonjour Léo, je dérange ?
- On te voit plus beaucoup à Chantegrill, ces temps-ci.
- Le chemin se fait facilement en sens inverse, tu sais.dialogue entre Léo et Joseph