Saint-Pétersbourg, décembre 1849… Après avoir passé huit mois dans le cachot pour avoir fait partie du Cercle de Mikhaïl Petrachevski, un groupe d’activiste séditieux désirant jeter à bas l’absolutisme tsariste, Fiodor Dostoïevski marche vers le lieu de son exécution alors même qu’il s’attendait à n’être qu’exilé.
Alors qu’il pense vivre ses dernières heures, Dostoïevski revoit sa vie défiler… son enfance âpre et difficile; la mort précoce de sa mère; son père brutal, autoritaire et alcoolique qui le méprisait; l’école d’officier où il dévore les œuvres des écrivains européens… la fréquentation des cercles progressistes…
Mais l’exécution n’était qu’un simulacre et l’écrivain est déporté dans le bagne d’Omsk, en Sibérie, où il passera quatre longues années avant de ne consacrer plus qu’à l’écriture… Mais, malgré un certain succès, Dostoïevski peine à vivre de son art. Joueur compulsif, il est couvert de dettes et va perdre peu à peu ses dernières illusions politiques et religieuses…
Après Léon & Sofia Tolstoï, Chantal Van den Heuvel et Henrik Rehr s’attataquent à la biographie d’un autre monument de la littérature russe : Fiodor Dostoïevski, à qui l’on doit des chefs d’œuvres tels Crime et Châtiment, Le Joueur, les Démons ou Les Frères Karamazov…
Avec cette biographie de Dostoïevski, on pouvait s’attendre à un récit chronologique solidement documenté mais à la lecture laborieuse… Mais ce serait mal connaître le talent de conteur de la scénariste! Faisant fi de la chronologie, elle enchâsse de multiples flashback dans son récit, rendant l’ensemble aussi entraînant qu’édifiant… Il y a tout d’abord ce simulacre d’exécution… A l’heure de mourir, dit-on, un homme revit son passé… Et c’est toute l’enfance âpre et malheureuse du romancier qui nous est contée, jusqu’à sa jeunesse et ces rencontres qui ont contribué à forger ses convictions politiques… Puis, une fois libéré du bagne, on le retrouve à Saint-Petersburg alors qu’une jeune femme se présente pour devenir sa sténographe. Ses échanges passionnés avec celle qui deviendra sa seconde épouse sont l’occasion pour de nous livrer d’autres pans de sa vie, revenir sur certains épisodes du bagne mais aussi sur sa liaison passionnée avec l’écrivaine Apollinaria Souslova avec qui il vécut une folle passion avant la mort de son épouse, Maria Dmitrievna…
A travers ces récits se déroulant à plusieurs époques charnières de sa vie, le lecteur découvre les coulisses de l’écriture des chef d’œuvre du romancier russe, les créanciers qui le poursuivaient inlassablement, l’argent qu’il dilapidait dans les cercles de jeu, au grand désespoir de sa femme ou la mort de ses enfants… Mais Chantal Van den Heuvel nous esquisse surtout le portrait d’un homme complexe et torturé, parfois aigri de n’avoir la notoriété d’un Tolstoï, et qui pouvait se monter particulièrement et colérique et odieux. Un homme progressiste qui se laissa gagner aux idées socialistes, et qui fut un fervent croyant… Avant que les vicissitudes de la vie n’ébranlent ses certitudes politiques et religieuses, sans jamais le dépouiller de son amour viscéral pour le peuple russe dont il est parvenu à saisir et à retranscrire l’âme.
Henrik Rehr nous livre une nouvelle fois un travail remarquable. Les teintes dont il use pour marquer les différentes époques s’avèrent envoûtante, rendant la lecture particulièrement fluide en permettant au lecteur d’inscrire chaque séquence dans la chronologie de la vie du romancier. Son approche graphique s’avère elle aussi fascinante, évoquant par moment des gravures anciennes et redonnant vie à cette Russie éternelle d’avant la révolution… Il se dégage de ses planches une ténébreuse lumière qui entre en résonnance avec l’âme tourmenté de Dostoïevski qui alimenta son œuvre…
Après leur saisissante biographie du couple Tolstoï, le tandem formé par Chantal Van den Heuvel et Henrik Rehr nous entraîne dans la vie tourmentée et tumultueuse de Fiodor Dostoïevski, auteurs de chefs d’œuvre de la littérature tel le Joueur, Les Frères Karamazov ou le sombre Crime et Châtiment…
Porté par un dessin fascinant évoquant des gravures anciennes rehaussés par des teintes subtiles qui fluidifient la lecture en identifiant chaque époque de sa vie, le récit s’avère captivant, esquissant grâce à une structure narrative aussi audacieuse que pertinente, le portrait de cet écrivain au caractère sombre qui sut si bien capter l’âme russe…
Le fait est qu’une fois l’album refermée, l’envie de relire l’une ou l’autre des œuvres de Dostoïevski à la lumière de sa vie ténébreuse et tourmentée se fait particulièrement insistant…
- Je n’ai pas voulu m’en prendre au Tsar ! S’il s’était engagé à faire des réformes et à abolir le servage, j’aurais été son plus ardent défenseur. Hélas, il a fait marche arrière, par peur, quand il a vu ce qui se passait en Europe…
- Quoi ?
- Le soulèvement des peuples.
- Peu importe ! Heureusement, nous sommes intervenus à temps pour vous empêcher de nuire.
- Et je vous en sais gré, monsieur l’officier.
- Pardon ??
- Sans cette arrstation, je sombrais dans la folie.
dialogue entre Fiodor Dostoïevski et l’officier qui l’a arrêté
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