Mulhouse, de nos jours. Un jeune cadre dynamique accro aux drogues suit une cure dans une clinique de repos où il la rencontre de Monsieur Engel, fils d’un important vigneron de la région de Colmar qui va lui raconter l’histoire de sa famille dans l’Alsace des années 40 qui venait d’être annexée par le Reich après la déroute de l’armée française et la victoire écrasante des nazis.

Ecartelée entre deux cultures, et alors que le patriarche avait été enfermé au camp de rééducation et de travail, Fina et son frère Antoine tentent tant bien que mal de maintenir le domaine à flot… Persuadé que l’Allemagne finira par perdre cette guerre, Antoine prépare déjà le monde d’après en appliquant des techniques de culture viticole avant-gardistes. Après avoir pris part à la résistance à l’occupation, Flora se consacre désormais exclusivement au domaine familial tandis que leur jeune frère, François, manipulé par un professeur, a pris fait et cause pour le régime nazi…

Alors que la guerre fait rage, la famille Engel va se déchirer…

L’histoire tourmentée de l’Alsace et des alsaciens est méconnue du grand public. Pour beaucoup l’Alsace n’est qu’une région qui a été ballotée de la France à l’Allemagne au grès des vicissitudes de l’histoire : française puis allemande en 1871, conséquence de la défaite de Sedan en 1870, à nouveau française après la victoire des alliés en 1918, puis de nouveau allemande lors de l’annexion au Reich en 1940 jusqu’à ce qu’elle redevienne française en 1944 alors que la guerre allait doucement vers son terme… Mais sur cette terre, des femmes et des hommes, nés français ou allemands, qui combattirent parfois les uns contre les autres dans la boue de Verdun ou de part et d’autre de la ligne Maginot… Parfois engagés volontaires, parfois incorporés de force lorsqu’il fallut envoyer des hommes sur le front de l’est pour combattre l’armée rouge… Pour se faire une idée de la complexité de leur situation, il suffit de regarder ses monuments aux morts : alors que dans presque toutes les communes de l’Hexagone, on rend hommage aux soldats tombés pour la patrie, en Alsace de nombreux monuments sont dédiés « à nos morts » ou « aux victimes de la guerre »… Car derrière bon nombre de ces morts portaient l’uniforme allemand… Les prénoms même ont parfois été francisés !

Le scénario de Stéphane Piatzszek s’empare de cette matière complexe pour tisser une saga familiale aussi passionnante qu’édifiante qui montre, à travers le destin d’une famille dans la tourmente, la complexité de l’Alsace des années noires. Chaque personnage y incarne l’une des multiples facettes de ce peuple balloté par l’histoire. De ceux qui résistèrent telle Fina et son amant, malgré les risques encourus; de ceux qui subirent, tel le patriarche enfermé dans un camp de rééducation; de ceux qui collaborèrent activement avec le nouveau régime à ceux qui, perduadé que les allemands finiront par perdre la guerre, prépare déjà le retour de l’Alsace dans le giron de la France, semant des graines d’espoir en préparant avec amour des greffes de cep de vignes, tel Antoine dont l’amour de la vigne transparait dans chacun de ses mots… La structure du récit le rend plus immersif encore, avec les confidences de ce vieux collabo qui révulse le jeune cadre autant qu’il le fascine et dont les souvenirs constituent l’histoire proprement dite.

Rehaussé par la colorisation soignée d’Aretha Battistuta, le dessin précis et réaliste d’Espé permet à chacun des protagonistes de l’histoire de s’incarner pleinement, les crayons agiles et expressifs de l’auteur donnant vie à une formidable mosaïques de personnages doté d’un caractère bien trempé et d’expressions et de postures qui leur sont propres. Ses cases foisonnent de détails qui apporte au récit cette caution historique qui fait sa force et sa richesse.

Ce second opus d’une Famille en Guerre nous entraîne au cœur de l’Alsace des années noires. On y suit le destin tourmenté d’une fratrie de viticulteurs déchirée par la guerre. Certains choisiront la collaboration avec l’occupant, la résistance ou s’accrocheront à la certitude que l’Allemagne finira par perdre la guerre et préparent déjà l’après…

Après avoir pris le temps d’esquisser le portrait des différents protagonistes de l’histoire dans le premier tome, Stéphane Piatzszek complète leurs portraits de façon crédible et cohérente alors que les crayons d’Espé soulignent avec art leur caractère de chacun et immerge le lecteur dans cette période troublée avec des planches savamment construites et foisonnant de détails.

Une famille en Guerre est une saga familiale passionnante qui explique avec pertinence et lucidité ce que fut la vie des alsaciens, ballotés entre deux pays et écartelés entre deux cultures, au grès des conflit qui déchirèrent l’Europe de 1870 à 1945…

- Schittenner est devenu Ministre de l’Instruction Publique pour le pays de Bade et l’Alsace.
- Tu veux dire Ministre de la Destruction Publique.
- Mieux vaut en rire. N’empêche que l’avenir est sombre. Mais ne t’inquiète pas… j’avais mis en sommeil le réseau de passeur bien avant que la Gestapo ne t’interroge.
- J’ai vécu presque en autarcie dans le domaine ces dernières semaines. Je suis désolée, je n’ai plus pensé qu’à nos propres soucis.
dialogue entre Henri et Fina