Isaïe était l’un des meilleurs guides de haute montagne de la région. Mais il a raccroché suite à un tragique accident qui l’a rendu un peu simplet… Berger depuis lors, il vit dans la masure familiale en compagnie de son frère, Marcelin…

Mais Marcelin rêve de quitter son quotidien monotone pour gagner la ville. Une opportunité s’offre à lui mais pour cela, il a besoin d’argent et tente de convaincre son frère de vendre la maison familiale, ce à quoi Isaïe se refuse. Catégoriquement…

Le crash d’un avion indien lui ouvre de nouvelles perspectives : alors qu’une expédition partie pour retrouver la carcasse de l’avion a été contrainte de rebrousser chemin après la mort de leur guide, Marcelin convainc son frère de se lancer à sa recherche pour collecter l’argent que les passagers défunts transportaient sans doute avec eux… Isaïe refuse à nouveau mais, son frère menaçant de partir seul, finit par se laisser convaincre, espérant dissuader son frère en chemin…

Après, Mortel Imprévu, western aussi somptueux qu’entraînant, Dominique Monféry, par ailleurs réalisateur et storyboarder du poétique film d’animation Kérity la maison des contes, est de retour avec une bluffante adaptation d’un court roman d’Henri Troyat, la Neige en deuil…

Une fois encore, c’est le dessin fascinant de l’artiste et son formidable travail sur la lumière qui nous attire et nous envoûte avant même de nous immerger dans ce récit tragique construit autour de deux frères que tout oppose… Dès la couverture, le charme opère… La montagne, tout à la fois dangereuse et sublime, que deux alpinistes affrontent… Dans quel but ? Mystère… Mais, si on est encore bien en deçà de la vérité, on sent déjà le souffle froid de la mort qui semble habiter et hanter ces sommets acérés et enneigés, baignés d’une lumière irréelle qui perce péniblement à travers la brume…

Et, dès premières planches, le talent saisissant de l’artiste nous explose au visage. Comment ne pas être impressionné par la précision de son découpage, par l’humanité, sublime ou tragique, qu’il parvient à insuffler à ses personnages aux expressions et aux postures savamment travaillées, par ses cadrages aussi audacieux que pertinents qui renforcent la dramaturgie de l’histoire… Et que dire de son fascinant travail sur la couleur et plus encore sur la lumière que Dominique Monféry sculpte avec maestria. Chaque séquence est ainsi travaillée avec un soin méticuleux, donnant à chaque scène l’ampleur nécessaire pour toucher le lecteur… Si les dialogues sont d’une redoutables efficacité, les silences s’avèrent tout aussi expressifs, rendant l’ensemble plus bouleversant encore…

Car le récit d’Henri Troyat s’avère particulièrement touchant, avec ces deux frères si différents… L’un se contente de peu et si d’aucun le considère comme simplet depuis le drame dont il fut l’un des acteurs, il n’en reste pas moins sage et pétri de bon sens… L’autre, égoïste, semble prêt à tout pour pouvoir changer de vie et prendre un nouveau départ, même à vendre la maison de ses aïeuls, si importante pour son frère, ou à dépouiller ceux qui ont trouvé la mort dans la catastrophe aérienne… S’il accepte la proposition de son frère, Isaïe œuvre à le faire renoncer, en le fatigant, en rendant leur périple plus éprouvant encore qu’il ne l’est… Mais rien n’y fait tant Marcelin est déterminé… La morale de l’un n’entame pas la froide détermination et la cupidité de l’autre… Un duel semble se livrer entre deux conceptions de la vie et dont l’issue, en ce territoire hostile et implacable, pourrait bien être fatale à l’un ou l’autre des protagonistes…

Après une saisissante adaptation du roman inspiré du crash du Malabar Princess au cinéma par Edward Dmytryk en 1956, c’est donc en bande-dessinée qu’est transposé ce roman sombre et sublime d’Henri Troyat… Après son remarquable Mortel Imprévu, Dominique Monféry, storyboarder et réalisateur de Kerity la maison des contes, superbe et poétique film d’animation, nous livre un fois encore un album somptueux et cruel mettant en scène deux frères que tout oppose…

Ancien guide de haute montagne traumatisé par un tragique accident, Isaïe se voit contraint par son frère Marcelin de lui servir de guide pour partir à la recherche de l’épave d’un avion indien écrasé dans les montagnes environnantes afin de s’emparer de l’argent des passagers… Les principes et la morale humaniste du premier suffira-t-elle à raisonner la cupidité du second ?

Porté par une écriture ciselée, un dessin fascinant, des compositions soignées, des dialogues entraînants et une colorisation somptueuse, cette transposition de La Neige en deuil confirme le formidable talent de cet impressionnant artiste dont nous attendons le prochain récit avec une impatience fébrile tant nous apprécions son travail.

- Parait que l’avion transportait de l’or.
- Faut pas croire tout ce qu’on raconte.
- Même s’il n’y avait pas d’or, les passagers avaient sûrement emporté de l’argent. Pour envoyer de l’argent, il faut être riche.
- Qu’est-ce que ça nous fait qu’ils aient emporté de l’argent ?
- On pourrait le prendre.
- Le prendre à des morts ? Non Marcelin !
- Pourquoi ? Les morts n’ont plus besoin d’argent. Pour acheter quoi ? Leur argent, c’est la neige qui le mouille. Et nous laisserions périr cette fortune ?
- Un mort n’a plus de défense. On n’a le droit de le toucher que pour le laver et le porter en terre. Voilà ce que je pense.dialogue entre Isaïe et Marcelin