Après leur fascinant Crime Parfait, les éditions Philéas nous proposent une nouvelle anthologie du polar centrée cette fois-ci sur la notion d’alibi…

L’alibi… Ce que cherche à construire le coupable de crime, de braquage ou d’adultère pour couvrir ses arrières et éloigner les soupçons… Si des témoins oculaires dignes de confiance l’ont aperçu ailleurs au moment du larcin, peut-il encore être soupçonné ? Dans bien des polars, le détective doit œuvrer à démonter brique par brique l’alibi de son principal suspect pour en démontrer les failles et prouver qu’il pouvait très bien être sur les lieux du crime ou du délit sur lequel il enquête… Mais parfois un suspect sans alibi peut se voir attribuer un crime qu’il n’a pas commis… Chacun des dix récits qui constitue ce recueil s’articule autour du concept d’alibi, jouant avec les codes du genre pour tisser un scénario aussi original qu’implacable…

Signé Richard Guérineau, la première histoire s’avère particulièrement brillante, tant dans son écriture que dans sa réalisation… La première planche nous immerge dans le bayou, avec des membres encagoulés du K.K.K. traquant un homme de couleur qu’ils accusent de meurtre… Un twist savoureux vient alléger le propos sans pour autant l’édulcorer… Glauque, fascinant et terriblement efficace !

Signé Jack Manini, le second scénario s’avère inventif à souhait avec la savoureuse idée de deux jumeaux dont l’un, n’ayant pas d’existence légale, servira d’alibi à l’autre jusqu’à ce que… Oscillant entre humour et tragique, ce polar s’avère cinglant et jubilatoire !

Avec S.O.S. Alibi, Xavier Bétaucourt et Laurent Astier mettent en scène avec délectation une société fournissant des alibis taillés sur mesure aux maris volages… Car on a beau être un coureur, quand on est marié à une femme richissime, difficile d’accepter de perdre le magot si on était pris en flagrant délit d’adultère… Mais, c’est bien connu, les choses ne se passent pas toujours comme on l’escompte…

Dans un ami qui compte, Olivier Berlion nous raconte l’histoire d’un brave type qui sert continuellement d’alibi à son ami volage… Là encore, le récit s’avère parfaitement maîtrisé en plus d’être superbement mis en images… Et la chute s’avère délicieusement inattendue…

Avec son style inimitable, Jimmy Beaulieu nous parle d’un agent infiltré qui, téléphonant à son ex pour s’expliquer, va sérieusement hypothéquer la mission en cours… tout va partir à vau l’eau de façon particulièrement gratinée… Peu en sortiront indemne… Les histoire d’amour finissent mal, en général…

Thierry Robin nous raconte l’histoire d’un pauvre gars qui s’apprête à être exécuté pour le meurtre d’un de ses semblables… A moins qu’il ne s’agisse d’une tragique méprise mais le hasard est parfois très… joueur… et si Dieu joue aux échecs, le hasard, lui, joue au foot…

Avec Contre tout alibi, Laurent Galendon et Benoît Blary nous raconte le quotidien d’un homme et d’une femme qui se déteste cordialement depuis leur mariage… Et, l’âge aidant, leur haine ira grandissant pour finir en apothéose ! Les lavis à peine réhaussé d’une note ou deux couleurs de l’artiste s’avère on ne peut plus somptueux ! Et en matière de couple difonctionnels, ces deux-là battent à plat de couture ceux du Chat de Pierre Granier-Deferre…

Etienne Le Roux et Vincent Froissard nous entraînent dans un cirque itinérant dont le patron, un clown particulièrement abject qui humilie ses employés à tour de bras, est retrouvé mort, sauvagement assassiné… Les suspects sont nombreux et leur alibi quelque peu bancal… Les auteurs revisitent-ils le Crime de l’Orient Express d’Agatha Christie. Pour le savoir, il vous faudra vous plonger dans ce sombre récit !

Benoît Springer et Séverine Lambour nous entraînent quant à eux dans un commissariat où des policiers interroge un vieil homme toujours amoureux de sa femme pour élucider un meurtre ayant eu lieu dans son immeuble… Fascinant récit qui nous balade de bout en bout…

Avec son Œil était dans la Tombe, Jeanne Puchol nous invite dans un hôtel désert et délabré où, en consultant le registre, la réceptionniste va passer en revue les actes bons et condamnables du seul client… La pesée des âmes peut révéler bien de sombres secrets…

Chacun de ses récits est une petite œuvre d’art graphique et narrative qui pose avec art une atmosphère savoureuse et souvent décalée qui rend sa lecture particulièrement enthousiasmante. Mais si chaque récit sont totalement indépendants les uns des autres, des récitatifs viennent ponctuer chacun d‘entre eux, permettant à un personnage, coupable ou victime, protagoniste ou témoin, d’apporter sa pierre à l’édifice du récit qui vient de nous être rapporté… Ces textes savoureux et ciselés rédigés par la talentueuse Anaïs Bon qui avait déjà sévi dans le Crime Parfait servent de fil rouge à ces petits polars sombres et captivants, les reliant par un fil ténu mais dont l’absence eut été très remarqué…

Comme le soulignait André Gide, « L'art naît de contraintes »… Et le fait est que cette poignée d’artiste réunis dans cette anthologie du polar ont chacun fait montre de virtuosité pour tisser des récits très différents mais tous particulièrement brillants autour de la thématique de l’alibi…

Aussi fascinant et jubilatoire qu’avaient pu être les histoires courtes du Crime Parfait, L’Alibi s’avère passionnant, chacun des récits pourtant indépendants étant conclus par un texte ciselé d’Anaïs Bon qui rapporte les propos d’une victime, d’un coupable, d’un témoin ou d’un complice, reliant toutes ces histoires de façon discrètes et délicieusement décalée…

Dans des registres graphiques et scénaristiques très différents, chacun de ses récits est une indéniable réussite et il serait dommage, pour tout amateur de polars noirs et bien serrés, de passer à côté de cet album aussi somptueux et fascinant que plein de délicieuses et cinglantes surprises…