Les maladies mentales sont encore un sujet tabou dans nos société occidentales, sans doute parce qu’elles sont méconnues et peut-être aussi parce qu’elles nous renvoient à nos propres angoisses de perdre la raison…

Avec cet album, Xavier Bétaucourt et Jean-Luc Loyer nous ouvrent les portes d’un hôpital psychiatrique pour y rencontrer les patients qui y sont soigné et les soignants qui leur prodiguent qui en ont la charge et les aident à vivre avec leur maladie… La couverture intrigue autant qu’elle nous envoûte, avec cette étrange illustration ou un soignant aide un malade à s’extirper de la prison de son esprit tandis que des papillons multicolores gravitent autour d’eux… Et il y a ce titre, surprenant et poétique, traduction littérale de « schizophrénie », du grec schizo (séparé) et phrên (esprit)…

Les auteurs des Âmes Fendues sont allés observer le quotidien du Centre Hospitalier Camille Claudel situé dans les Charentes. A travers des chapitres bien pensé, ils nous montrent comment les soignants sont investis dans leur mission, malgré un manque criant de moyens et comment chacun conçoit la nature de la mission qui est de soigner pour réinsérer les patients dans la société et non de les en exclure, objectifs premiers des asiles d’aliénés. Si on les apperçoit parfois au détour d’une case, Xavier Bétaucourt et Jean-Luc Loyer se placent en retrait pour nous rapporter fidèlement les paroles du personnel, comme celle des patients et leurs discours confus qui troublent souvent le lecteur parce qu’il se sent démuni devant ce qu’il ne connaît pas, aveuglé par ses idées préconçues… Les paroles des soignant permettent aussi aux auteurs de brosser un rapide mais édifiant historique de ces lieux de soins, revenant notamment sur la fin tragique de Camille Claudel, talentueuse sculpteuse qui donne son nom à l’établissement…

Mais la force de l’album est de donner la parole aux patients en rapportant les mots qu’ils mettent sur leurs maux, la façon dont ils se sentent inadaptés à un monde dont on les exclut trop souvent. On passe ainsi un peu de l’autre côté de cette barrière qui sépare les gens ordinaires de… ces gens littéralement extra-ordinaires… Ce faisant, on entre un peu dans leur monde, dans leur univers, régit par des codes qui certes nous échappent encore en partie mais semblent un peu plus intelligibles…

Outre les soignants et les patients, l’album donne aussi la parole aux familles, à ces proches qui doivent comprendre et accepter la maladie et apprendre, eux aussi, à vivre avec, pour pouvoir aider au mieux un enfant ou un frère qui en souffre…

Ces regards croisés des soignants, des patients et des proches aident le lecteur à mieux cerner la schizophrénie et à mieux comprendre ces personnes dont le comportement a pu nous heurter parce qu’échappant à nos connaissances du sujet et à notre entendement… Ces Âmes fendues sont la clef d’une porte ouvrant sur un monde méconnu, un premier pas vers cet autre qui juste ici nous était étranger…

Mais l’album va plus loin encore : le propos de l’album est un formidable source d’espoir, notamment avec ces pair-aidant, schizophrènes qui nous racontent leur expérience, la façon dont ils ont appris à dompter leur maladie pour reprendre en main le cours de leur vie, et qui vont jusqu’à consacrer du temps pour aider d’autres patients à cheminer sur un sentier qu’ils ont eux-mêmes arpenté…

Jean-luc Loyer fait une nouvelle fois montre de ses talents de dessinateur par son approche graphique subtile : si le monde, les soignants et les familles sont en couleur, les patients sont ternes, comme s’ils vivaient en dehors du monde du monde ordinaire… Le personnage assurant les transitions entre les différents chapitres et ses poétiques papillons s’avère touchant, apportant une cinquième voix à ce documentaire aussi édifiant que passionnant… Sa conclusion résume à merveille le message véhiculé par cet album à lire d’urgence… et à faire lire…

Pour écrire cet album remarquablement bien construit qui nous entrouvre les portes d’un monde méconnu, Xavier Bétaucourt et Jean-luc Loyer ont vécu le quotidien d’un hôpital psychiatrique, lieu qui est pour beaucoup source d’angoisse.

A travers les témoignages croisés des soignants, des patients et de leurs proches, les auteurs nous aident à mieux comprendre ce que peut être la vie de ces schizophrènes, de ces gens peu ordinaires dont la présence nous dérange parfois car on ne les comprend tout simplement pas…

Ces âmes fendues nous entrouvre les portes de leur monde, nous permettant de mieux appréhender ce qu’est la schizophrénie et nous permettre mieux comprendre ceux qui en souffrent… Véritable pont jeté entre deux mondes, entre les gens ordinaires et ces gens extra-ordinaires, l’album est porteur d’espoir, montrant qu’on peut apprendre à vivre avec la maladie et à surmonter ses angoisses pour refaire partie de la société…

Porté par la plume sensible de Xavier Bétaucourt et les crayons délicats de Jean-Luc Loyer, ce documentaire est une petite merveille d’humanité dont je ne peux que recommander la lecture à toutes et à tous tant il nous ouvre les yeux sur un monde méconnu…

Ici, c’est comme un refuge contre le monde extérieur… Tellement inquiétant pour nous… Nous que vous appelez un peu trop facilement les fous.le narrateur