L’annonce vient de tomber : l’Apocalypse tant redoutée est pour ce soir. Mais, fin du monde ou pas, tout un chacun poursuit ses activités lorsqu’ils ne décident pas de fêter la fin du monde en faisant tomber tous les tabous sexuels ou moraux ou à se suicider pour ne pas mourir…

Ainsi, nombreux sont ceux qui poursuivent leur routine quotidienne : déposer les enfants à l‘école, préparer une réunion cruciale, organiser les promos de Noël ou d’Halloween pour ne pas rater les bénéfices engendras par ces évènements festifs, donner des blâmes à des employés navrants ou encourager la prise initiatives de ses employés… tel le suicide familial…

Bref, le monde continue de marcher à sa perte dans le sillage d’un président inconséquent qui se moque comme il se doit et plus encore que de coutume de ses concitoyens… Il s’en fout… et il assume…

Le scénariste déjanté de Troie Zéro, de Waterlose de Salade César se propose de nous conter avec délectation la fin du monde que l’on connaît avec humour mordant et son sens de l’absurde qui ont fait sa renommée.

Les personnages que l’on va suivre dans cette dernière journée avant l’apocalypse sont déjantés à souhait. Le sens du rythme du scénariste et ses répliques à rebrousse-poil s’avèrent bien souvent irrésistibles et esquissent un portrait plein de non-sens de nos sociétés contemporaines, de l’esprit « corporate » aux relations qui se tissent entre un employé et son n+1, n+2 et autres supérieurs soucieux de leurs seuls profits et non de l’intérêt commun jusqu’à notre rapport de tout un chacun au travail et à la vie… D’ailleurs, que feriez-vous, vous, si l’Apocalypse était pour ce soir ?

Le titre à lui seul reflète bien l’esprit provoquant et iconoclaste de l’album, avec ce président navrant qui assume son incompétence et se soucie uniquement de son petit nombril, de ce qui se trouve un peu en dessous et de l’existence (ou non) des extra-terrestres… Il n’est pas sans rappeler un autre président, tant dans son attitude délicieusement caricaturale que dans son égotisme exacerbé… Le sens de l’absurde de l’auteur fait indéniablement mouche… mais à bien y réfléchir, il est cinq minutes avant l’apocalypse, comme le prouve les catastrophes climatiques qui s’abattent aux quatre coins du monde et dont on semble ne pas se soucier outre mesures, préférant continuer à polluer à outrance et ne rien changer pour ne pas perdre notre petit confort…

Dans un registre très différent de son Wagner - L'histoire secrète des mercenaires de Poutine (sur un scénario de Roger Benjamin et Mathieu Olivier), le dessin de Thierry Chavant est au diapason des scénettes hallucinantes concoctées par Karibou, avec un dessin épuré qui met en scène de façon théâtrale des personnages totalement barrés qui continuent à bosser comme si de rien n’était sans se rendre compte de l’absurdité de la situation et de la vacuité de leur vie… Mention spéciale au Président hallucinant, à ses conseillers hallucinés et à cette Professeure des Ecoles qui se lâche et dit sans fard à ses élèves ce qu’elle pensent d’eux…

Après ses déjantés mais parfaitement maîtrisé Salade César, Waterlose et Troie Zéro, Karibou se propose de nous donner sa vision mordante et décapante du dernier jour avant l’Apocalypse…

Torse nu et tatoué, le président annonce la bouche en cœur à ses concitoyens bien moins médusés qu’on aurait pu le croire que l’Apocalypse est pour ce soir, à 19 heures… tapante… Si certains projettent de se suicider pour échapper à la mort, d’autres font tomber toute barrières morales… Mais la plupart continue leur routine quotidienne et se rendent au travail sans saisir l’absurdité de la situation…

Particulièrement inspiré, Karibou met en scène avec un plaisir jubilatoire une poignée de personnage totalement barrés que l’on va suivre au fil de l’album alors que s’agrainent les heures avant l’apocalypse. Son sens du rythme et de l’absurde font une fois encore merveille, d’autant que son récit rocambolesque et improbable est mis en scène par les crayons irrésistibles de Thierry Chavant qui signe des dessins au diapason de l’esprit des scénettes sorti de l’imagination débridé du scénariste…

La fin du monde est pour demain… Mais si elle est aussi drôle que cet album, on peut l’attendre avec sérénité !