Le cauchemar de Darwin est un documentaire qui s’ouvre sur le constat d’une catastrophe écologique monumentale que le monde semble bien étrangement ignorer…
En effet, en Tanzanie palpite le plus grand lac d’eau douce d’Afrique : le lac Victoria. Source du Nil, inspirateur des rêves de tous les explorateurs de l’Afrique, berceau de certains des premiers hominidés qui foulèrent la Terre pour le succès que nous connaissons, le Victoria devait autrefois surpasser ses homologues les lacs Malawi et Tanganyika en termes de biodiversité endémique (c'est-à-dire n’existant nulle part ailleurs).
Puis quelqu’un (mais qui était-ce vraiment et pourquoi ?) joua ici -comme on le fît déjà ailleurs- l’apprenti sorcier en introduisant la Perche du Nil, un prédateur vorace qui n’avait pas ses entrées au Victoria jusque là… Rapidement, cette dernière fît un carnage écologique et génétique en oblitérant le Victoria de la presque totalité de ses espèces et en bouleversant donc tout l’équilibre écologique que la Nature avait établi en prenant son temps…

Aujourd’hui, il ne reste de cette catastrophe qu’une pêche artisanale (mais en quantité industrielle !) de la fameuse perche, qui alimente…les marchés européens par le biais de compagnies de transport aériennes à bas prix...russes.
Certes, les 50 tonnes de perche produites par jour fournissent de quoi subsister aux pêcheurs locaux (pi aux prostituées qu’il faut taper si l’on couche avec elle, ouaip !), mais leur exportation n’aide en rien à prévenir et guérir la famine qui règne en maître ailleurs dans le pays… Tandis que 2 millions d’européens se nourrissent de perche du Nil, 2 millions de tanzaniens crèvent la faim.

C’est à un ménage à trois auquel nous sommes conviés par le documentaire de Hubert Sauper (qui découvrit son sujet par hasard sur place) : un ménage entre la perche, les hommes et la mort… Mais pour combien de temps la perche hantera t-elle le lac lorsqu’il ne restera plus qu’elle et qu’elle sera contrainte au cannibalisme. Entre les hommes et la faim/fin, qui restera t-il ?...
Pris entre le marteau du SIDA et l’enclume de la famine, il ne reste que peu d’espoir pour celui ou celle qui est faible ; c'est-à-dire prostitué(e), malade, seul, ou jeune (et parfois tout cela en même temps).

Quel est cet endroit ou les morts coûtent plus chers à déplacer que les vivants et où celui qui s’est fait arracher la jambe par un crocodile (ah oui, c’est le seul que la perche n’a pas bouffé) où qui a attrapé le SIDA n’a pas d’autre choix que d’attendre le passage de la faucheuse, qui heureusement a pris un abonnement au siècle pour ces régions du globe.

Vous vivez ? Alors, vous avez faim ? Ca tombe bien, on fait sécher les carcasses des poissons qui grouillent d’asticots (ben oui, c’est que l’on aime bien les filets par chez nous, mais pas la peau, la tête ou les arêtes) au soleil. Appétissant, je vous assure…
Les gamins sont paumés (ben oui, leurs parents sont morts ou partis à la pêche sans eux) ? Ouf, il reste le plastique fondu des emballages du poisson à fumer pour s’endormir plus vite… Bon, c’est vrai que dans la nuit on peut se faire poignarder par un tesson de bouteille ou sodomiser, mais vous n’aurez pas eu le temps de souffrir, au moins… Rassurez-vous, les ambassadeurs européens congratulent les autorités et les habitants pour la constitution de ce système où « tout est parfait ». C’est la « mondialisation occidentale »…

Sauper filme son sujet sans concessions (et en semi-clandestinité pour pouvoir recueillir les témoignages de tout le monde), en dressant portrait après portrait un panorama objectif et sans complaisance de la situation, qui n’est rien de plus qu’un exemple parmi une foultitude d’autres. La perche comme les armes ne sont finalement que les symptômes d’une situation dont les causes sont à chercher dans ce que le néo-colonialisme a de plus abject et –malheureusement- de plus pérenne… Ce n’est même pas une enquête sur nos petits trafics, c’est un constat bouleversant.

Vous l’aurez compris, même si je suis parti pris : le cauchemar de Darwin, c’est ma réalité, c’est votre réalité. Réveillez vous.