Entretien avec l’Odieux Connard


Alors bonjour monsieur... Comment doit-on dire ? Comment interviewer courtoisement une personne dont le nom de plume est un gros mot...Vous vous faites appeler 'l'Odieux Connard'...Bon c'est de la dérision bien entendu, on aurait plutôt envie de vous appeler 'génial trublion'...Peut-on vous demander le 'pourquoi' de ce pseudo si peu flatteur ?
Vous pouvez. Le pseudonyme a une origine très simple : lorsque j’ai ouvert mon site web en 2009, je souhaitais une ligne éditoriale claire basée sur la mauvaise foi. J’ai donc choisi d’appeler cela « Le blog d’un Odieux Connard », tenu par un Odieux Connard, à unodieuxconnard.com. Malgré tout, des gens viennent encore poster « Vos critiques sont tout le temps négatives, vous n’y connaissez rien ». Visiblement, je n’ai pas été assez clair.

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Soyez fort et vouvoyez. On n’est pas dans une cage d’escalier, galopin.

Gasp… D’accord, je me ferais violence…
Pourquoi est-il si bon d’être mauvais ?

Parce que ça défoule, principalement. Alors qu’être gentil est bien plus difficile. Surtout avec certaines personnes : nous l’avons tous vécu.

D’où vient votre passion pour l’histoire et pour ces anecdotes qui rendent vos récits si savoureusement irrésistibles ?
Cher petit flatteur, sachez que j’ai commencé par des études d’histoire, qui m’ont menées à enseigner l’histoire. Que voulez-vous : j’aime ça. Alors quand je me suis retrouvé devant une classe, je me suis rappelé que je ne voulais pas être un enseignant chiant récitant son cours par cœur. Et qu’on retenait plus facilement les petites histoires que la Grande. Or, comme les premières permettaient d’enrichir et d’intéresser à la seconde, je me suis servi d’anecdotes pour émailler mes cours. Et visiblement, ça a plus ou moins marché.
Le petit théâtre des opérations, crayonnés © Monsieur le Chien / l'Odieux Connard
Comment Percevez-vous l’enseignement de cette discipline ? Que faudrait-il changer pour qu‘il soit plus efficace et plus pertinent ?
Vaste sujet, abritant moult débats. A chaque élection, d’ailleurs, on retrouve les éternels débats sur l’Histoire et ce que l’on devrait enseigner. Pour ma part, je suis un ringard : je suis un partisan du factuel. Moins d’idéologie, plus de faits. Et surtout : comprendre. L’Histoire est une longue série de nuances de gris, et je préfère voir un élève qui a du mal à recracher des dates par cœur comprendre la logique derrière des événements qu’un perroquet qui ressert des dates qu’il oubliera dès le lendemain sans comprendre ce qu’il fallait tirer de tout cela.

Continuez-vous votre activité de professeur ou avez-vous préféré jeter l’éponge (à la figure du ministre) ?
J’ai jeté l’éponge, mais le ministre étant loin, elle est tombée dans un champ.

Quelle est l’influence de d’Alain Decaux Pierre Bellemare et de ses histoires extraordinaires sur votre œuvre ?
Paradoxalement : assez mineure. Si je connais bien sûr les personnages, je les ai finalement assez peu lus/écoutés. Je suis rentré dans cet exercice via d’autres chemins.
Le petit théâtre des opérations, crayonnés © Monsieur le Chien / l'Odieux Connard
Quel historien fait pour vous référence ?
Eh bien tout dépend de la période ! Vous pouvez être un excellent médiéviste et être nul sur la période contemporaine, et inversement. Et même être un expert de la Première Guerre mondiale et ignorer des pans entiers de la Seconde. L’historien qui fait référence, pour moi, c’est le scientifique, qu’importe la période. Celui qui va prendre tous les faits et les expliquer, au lieu d’en faire une sélection pour en faire une relecture allant dans le sens de son idéologie.

Quelle sens donnez-vous à votre activité de conteur d’anecdotes historiques et quelle est motivation (plaisir personnel, humour, vulgarisation, amour, gloire et beauté, richesse…) ?
J’aime l’argent, tout le monde vous le dira. Mais pour ma part, ça a commencé comme un plaisir, et ça continue comme tel. C’est grande joie de redécouvrir un personnage oublié et de savoir que l’on va pouvoir aller le faire découvrir à des curieux.

Pensez-vous à écrire un livre un recueil d'anecdotes ?
C’est déjà le cas avec le livre et les bédés du Petit Théâtre des Opérations. Achetez-en. Plein. Beaucoup.

Vous racontez avec force humour des anecdotes de guerre. Vous avez maintenant deux formats, les animations à base de photos et maintenant une bande-dessinée… abondance de biens ne nuit pas : quel est votre support préféré ?
Cela dépend de ce que je veux raconter. Mais travaillant avec l’excellent monsieur le chien (nos pseudonymes sont fabuleux) sur la version bédé, je dois bien avouer avoir un faible pour la bédé.

Qu’apporte spécifiquement la bande-dessinée que n‘offrait pas les autres supports ?
L’humour « de fond de case » qui permet de rajouter des absurdités un peu partout. C’est plus difficile avec mon format de vidéos. Mais surtout, les vidéos reposant déjà sur des dialogues dans des bulles, c’est un support bien naturel pour les transcrire en papier.

Le petit théâtre des opérations, crayonnés © Monsieur le Chien / l'Odieux ConnardComment avez-vous rencontré Monsieur le Chien qui met en image vos récits improbables mais néanmoins véridiques ?
Nous nous sommes croisés il y a bien des années via une connaissance commune, et voilà que nous nous sommes appréciés. Nous avons traficoté ensemble (par exemple, lorsque le chien m’a laissé scénariser un épisode bonus de sa bédé Féréüs), et cherché à faire un plus gros projet en commun. Quand Fluide Glacial m’a proposé de faire une bédé du Petit Théâtre, ils ont proposé monsieur le chien. Notre alliance dans le crime était scellée.

Concrètement, outre le fait que vous voyez du pays pour faire des conférences pendant qu’il trime enchaîné à sa table à dessin, comment s’organise votre travail avec Monsieur le Chien ?
C’est assez simple : j’écris un scénario, découpé en cases et bulles, j’ajoute des références photographiques pour les uniformes, véhicules… et monsieur le chien transforme tout cela en pages. Il n’hésite pas à proposer des modifications – brillantes, évidemment – et potasse de son côté des livres d’uniformes pour s’assurer que l’on colle au maximum à la réalité historique. Ensuite, il dessine des conneries en fond de case, mais ça, c’est cadeau. Je n’ai donc plus qu’à dire « Bravo le chien ! » en voyant la page terminée, avant de le battre comme plâtre pour qu’il bosse plus vite sur la prochaine.

La réalisation de vos vidéos vous demande-t-elle beaucoup de temps ? Avez-vous beaucoup de recherches à faire ou votre activité de professeur pallie-t-elle pour beaucoup à vos histoires -véridiques- il faut bien le souligner ?
N’étant plus professeur, je fais mes recherches sur mon temps personnel. C’est le plus long, selon la quantité de documentation disponible. Car ensuite, le montage est assez rapide vu la simplicité des vidéos. Une vidéo complète, c’est une grosse journée de montage. Les recherches… ça dépend, donc !
Le petit théâtre des opérations, crayonnés © Monsieur le Chien / l'Odieux Connard
Comment avez-vous rencontré Benjamin Brillaud, alias Monsieur Nota Bene, avec qui vous collaborez sur de nombreuses et passionnantes vidéos ?
Nous nous sommes croisés en festival. Et comme ce petit filou s’avère être sympathique, nous avons passé un bon moment. Et sommes restés en contact. Puis, lorsque Nota Bene a eu besoin de scripts sur des périodes que je connaissais un peu (comme au hasard, la Grande Guerre), il m’a proposé de collaborer avec lui. Ce que nous faisons toujours, et ce, avec grand plaisir.

Peut-on savoir ce qui vous a poussé à ces histoires, quelle en est la genèse ?
Comme évoqué, tout a commencé par le souhait d’intéresser mes élèves en cours, avec de petites histoires un peu vivantes, qui se retiennent bien et attirent l’attention. Et voilà où nous en sommes !

Quelle est de vos vidéos celle qui vous a le plus plu ou le personnage le plus fascinant dont vous avez narré les (més)aventures ?
Je ne l’ai pas fait en vidéo (pas encore), mais je reste étonné par le manque d’intérêt pour le personnage d’Adrian Carton de Wiart. On pourrait faire une trilogie au cinéma de sa vie sans problème. Et ça resterait plus incroyable que 99 % des films.

Votre public a l'air assez diversifié : parmi quelle tranche d'âge avez-vous le plus de succès ?
N’ayant pas fait de statistiques précises, permettez-moi de ne pas répondre, cela m’évitera de vous filer un mauvais tuyau.
Le petit théâtre des opérations, crayonnés © Monsieur le Chien / l'Odieux Connard
Si vous deviez faire une animation de ce qui se passe aujourd'hui ? Cela vous inspire-t-il ?
J’ai pour la première fois fait une vidéo contemporaine ce mois-ci (avril 2022) pour parler d’une opération de la Marine Nationale dans l’Océan Indien. En même temps, comme j’y étais, ça a bien aidé !

Etes-vous surpris de l'accueil enthousiaste que vous remportez ?
Je dois bien dire que oui. Mais comme j’aime l’argent, je ne me plains pas.

Pouvez-vous lever le voile sur vos prochains récits en cours d’écriture ?
Je peux au moins dire que le tome 3 du Petit Théâtre est en route ! Parler du reste m’obligerait à vous briser la nuque.

J’ai cru comprendre (mais peut-être me trompe-je) que vous aviez fait une brève incursion dans le monde politique… Que retenez-vous de cette expérience en immersion ? Avez-vous un avis sur la campagne présidentielle qui s’achève, sur la montée des extrêmes ou sur la guerre en Ukraine ?
Je ne vais pas détailler ici, mais oui, j’ai eu un aperçu des coulisses. Comme je le disais pour l’historien : je m’en remets aux faits et à la connaissance du sujet. Je ne vais donc pas me prononcer sur la guerre en cours, car je pense ignorer 75 % des informations qui me permettraient d’avoir un avis éclairé. Alors que sur la montée des extrêmes, ce qui est bien, c’est que depuis 20 ans on a un bon aperçu : on voit des gens déçus se tourner vers lesdits extrêmes. Mais visiblement, il est toujours plus facile de les traiter de gros cons que de chercher à comprendre pourquoi ils sont déçus/en colère. Et ce qui est bien, c’est que c’est justement en les ostracisant qu’on ne risque pas de les convaincre. On a donc désormais des hordes de militants « anti-extrêmes » qui font tout pour s’assurer que les électeurs desdits extrêmes ne changent surtout pas d’avis. C’est brillant.

Le petit théâtre des opérations, crayonnés © Monsieur le Chien / l'Odieux ConnardEst-il difficile de trouver de la documentation pour écrire vos incroyables récits ? Quelles sont vos principales sources documentaires ?
J’ai de la chance : je vis au XXIème siècle. C’est-à-dire qu’il y a des quantités incroyables d’archives numérisées (Gallica, Mémoire des Hommes, etc) qui me permettent d’avoir recours à énormément de documents très facilement. Nous vivons une époque fabuleuse pour la recherche. Et si on y ajoute l’aide apportées directement par des archivistes qui me sortent des documents passionnants issus directement de certains régiments ou autres… j’ai des ressources en quantité !

Êtes-vous surpris par la façon dont l’armée accueille votre travail ? Les archives de l’armée contiennent-elle encore des documents méconnus et fascinants à même d’alimenter vos créations ?
Je suis très, très agréablement surpris. L’armée a réagi très positivement (malgré mon vilain pseudonyme), et les militaires sont nombreux à me proposer des idées et ressources pour m’aider. C’est vraiment très agréable !

Vous êtes dans un monde parallèle, et apprenez que Dunkerque 2 est en cours de préparation ; que faites-vous ?
Je prépare mon clavier à se faire violenter lors d’un nouveau spoiler.

D’où vous vient cette haine viscérale des mauvais films ?
La réponse est dans la question : ils sont mauvais.

S’il ne devait en rester qu’un, quel film conseillerais-vous ?
L’intégralité du Petit Théâtre des Opérations.
Le petit théâtre des opérations, crayonnés © Monsieur le Chien / l'Odieux Connard
L'emploi de vos stagiaires en table basse, est-ce l’expression de votre fibre écolo ?
J’aime aider autrui à trouve sa place en ce monde (ou dans mon salon).

Tous médias confondus, quelle sont vos derniers coups de cœur ?
Seriez-vous en train de sous-entendre que j’aime des choses ? Allons, soyons raisonnables.

Auriez-vous un bouquin d’histoire, un musé ou un site à conseiller tout particulièrement à nos lecteurs ?
Allez à Verdun. Ça remet deux-trois idées en place.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle vous souhaiteriez néanmoins répondre par pur esprit de contradiction ?
Oui : « Pourquoi êtes-vous si fabuleux ? ». Mais je n’aurais pas répondu par pure modestie, ma principale qualité.

Un grand merci pour le temps que vous nous avez accordé…

Entretien réalisé avec la complicité d’Albert Nohnyme et Alko Fry Bhas
Article by Le Korrigan