★★★★★ l'Amant de Mrs Weekley
« Frieda ou la véritable histoire de lady Chatterley » est une biographie romancée d’Annabel Abbs traduite de l’anglaise par Anne-Caroline Grillon qui parait en poche chez Pocket. Comme « Z le roman de Zelda » de Thérèse Fowler consacré à Zelda l’épouse de Francis Scott Fitzgerald paru il y a quelques années, lumière est faite sur la femme, pas l’épouse de.

L’autrice nous conte le destin d'une femme exceptionnelle : née baronne Von Richthofen mais ruinée à la suite des dettes de jeu de son père, elle s’est mariée très jeune à un philologue anglais Ernest Weekley beaucoup plus vieux qu’elle et très pudibond. Il ne l’associe nullement à ses recherches intellectuelles, elle s’étiole dans la ville de Nottingham où on la regarde avec suspicion car il ne fait pas bon être allemande à quelques années de la première guerre mondiale… Elle se réfugie dans la maternité mais cela ne lui suffit plus et quand l’un de ses sœurs aînées vient lui rendre visite et se vante de sa vie si enrichissante dans la ville de Munich en pleine ébullition, elle n’y tient plus et accepte son invitation. Ce qu’elle y découvre et sa rencontre avec Otto Gross vont la changer à jamais et la préparer à vivre l’exceptionnelle histoire d’amour qu’elle aura avec le jeune TH Lawrence, ancien étudiant de son mari, qu’elle rencontrera en 1912 …


Un personnage en lutte
Frieda est une personne qui a réellement existé : née Von Richthofen en Allemagne, elle s’est ensuite appelée Weekley et a vécu en Angleterre, puis elle devint Mrs Lawrence et suivit son nouvel époux dans ses pérégrinations européennes avant de mourir Ravagni, remariée une troisième fois, en Italie.

Mais Annabel Abbs, choisit d’intituler sa biographie romancée « Frieda » tout court pour s’intéresser à sa personnalité intrinsèque et pas à son personnage social. Et pourtant, le moteur de cette vie et l’intérêt du livre c’est la lutte de l’héroïne contre la société, le patriarcat et ses maris pour devenir ou rester elle-même.
L’autrice reprend dans ce livre des fragments de la correspondance réelle de Frieda, ses sœurs, son mari et ses amants pour le côté « biographie » et invente des dialogues qui sonnent juste et rendent le récit vivant et « romancé ». Nulle monotonie et pas de longs développements indigents non plus : à travers une narration polyphonique on l’on entend tour à tour au gré de courts chapitres Frieda, son premier mari Ernest et deux de ses trois enfants Monty et Barby (majoritairement son fils), la trajectoire de cette dernière est retracée.

On perçoit d’abord comment troisième fille d’un baron ruiné par ses dettes de jeu, elle a été élevée comme un garçon manqué par un père qui souhaitait avant tout avoir un héritier mâle, puis comment elle a cru faire un mariage d’amour malgré une mésalliance en épousant un professeur britannique fils de pasteur et pudibond qui l’idéalisait et lui refusait finalement toute dimension charnelle, glorifiant son côté madone et la surnommant « perce-neige ». Et enfin comment DH Lawrence la vampirisa pour en faire à la fois sa chose et sa muse, sa femme et sa mère tandis que son dernier mari - de douze ans plus jeune qu’elle - l’utilisa sans vergogne pour la sécurité financière qu’elle lui apportait… Au cours de son enfance et de ses deux premiers mariages, elle ne fut donc pas aimée pour elle-même mais pour l’image qu’on avait d’elle et pour le rôle auquel on voulait la cantonner ; le troisième mariage apparaissant encore plus terre à terre !

Le fil rouge de l’œuvre c’est donc la lutte de Frieda contre cet emprisonnement. Elle trouvera l’une des clés de son émancipation à Munich en 1907, Abbs nous dépeint une société en pleine ébullition intellectuelle et révolution sexuelle. La sensualité intrinsèque de Frieda s’y épanouira grâce à son mentor Otto Gross et elle changera à jamais renâclant à retrouver les carcans d’une société anglaise étouffante, elle aussi fort bien décrite, où règnent les apparences, les convenances et la peur du qu’en dira-t-on. Son « épiphanie » donne d’ailleurs lieu à de très belles pages sur l’éveil des sens dans la nature et en particulier dans la forêt de Sherwood …

Une réhabilitation par la réécriture
L’autrice accentue cette (r)évolution en transformant certains événements biographiques comme elle s’en explique dans la postface. Elle tord aussi le cou à l’idée reçue que Frieda aurait abandonné ses enfants pour s’enfuir avec son amant. Elle la dépeint avant tout comme une mère aimante mais broyée par les lois de l’époque et victime d’une machination de son amant qui envoya une lettre d’aveu à son mari à son insu ce qui provoqua l’ire du cocu, la déchéance de ses droits maternels et le déchirement de l’héroïne qui se voulait femme et mère avant d’être femme de …

Ainsi, on n’a pas seulement une biographie linéaire et documentée (même si cet aspect est présent comme en atteste la longue bibliographie en fin de volume et les notices biographiques des différents protagonistes) mais une véritable réflexion sur la place de la femme en cette Belle époque qui ne l’est pas tant que cela. Ceci sans manichéisme puisqu’on entend aussi d’autres points de vue et que le désespoir du mari bafoué (victime lui aussi de cette société corsetée finalement) est déchirant comme le manque qu’éprouvent les enfants. L’œuvre est enfin passionnante par la biographie en creux qu’elle nous donne du romancier TH Lawrence - même s’il ne s’en sort nullement avec les honneurs - et l’éclairage nouveau qu’elle nous donne sur ses œuvres …

Malgré ses 500 pages, cette biographie romancée se lit d’une traite. Il faut aussi saluer le travail de la traductrice, Anne-Caroline Grillot qui retranscrit bien la fluidité de l’écriture et les synesthésies sensuelles. Frieda est un personnage passionnant qui ne peut laisser indifférent. Que l’on connaisse ou pas l’œuvre de DH Lawrence, ce livre plaira mais il devrait vous donner envie de lire les romans inspirés par sa muse !

Dans cette biographie romancée, Annabel Abbs nous raconte le destin incroyable de celle qui inspira à TH Lawrence son personnage de Lady Chatterley. Elle s’attache moins à la muse ou à l’épouse de … qu’à la femme qu’elle fut.

Et elle nous brosse un très beau portrait d’une jeune baronne allemande exilée à Nottingham au côté d’un mari plus vieux et philologue qui s’éveille à sa sensualité lors d’un séjour à Munich après sa rencontre d’un disciple de Freud, Otto Gross. L’autrice s’attache à nous montrer, à travers l’agencement choisi des événements et une écriture polyphonique en courts chapitres, comment cette femme en avance sur son temps dut lutter contre une société rigoriste et patriarcale et contre ses maris et amants pour se réaliser pleinement. Elle nous dépeint également la tragique tentative de Frieda pour exister à la fois en tant que femme et mère ce qui est toujours extrêmement actuel.

Un livre et un personnage passionnants !


Je [Otto Gross] suis en train d'écrire un article sur les types de personnalité. Veux-tu le relire ?

Elle se demanda si elle l'avait bien entendu. Ernest ne lui avait jamais demandé de relire le moindre de ses travaux. Elle s'était proposée à plusieurs reprises au début de leur mariage en lui demandant de lui faire part de ses recherches, de ses discussions avec ses étudiants. Il avait ri en balayant cette idée d'un revers de main, comme si elle inimaginable, voire grotesque. Un jour, il lui avait dit que son esprit n'était "pas suffisamment formé", une formule qui lui faisait encore froid dans le dos.page 91

Chronique by bd.otaku