★★★★☆ On nous aurait menti ?
Fausses Pistes, planche de l'album © Bamboo / DuhamelQuinze ans… Ça fait quinze ans que Frank incarne le célèbre Marshal Jack Siberius Everett Johnson, alias Jake « Wild Faith » Johnson, dans le spectacle donné quotidiennement à Woodstone, la ville où il devint l’une des légendes de l’ouest…

Totalement obsédé par son personnage, il peine à faire la part des choses entre sa vie et celle du Marshall. Souffrant d’un trouble de la personnalité et jugé trop vieux pour endosser sa panoplie de justicier, il est viré sans préavis et perd tout ce qui faisait sa vie… La mort dans l’âme, il participe à un voyage organisé dans l’Ouest sauvage offert par ses anciens collègues…

Fort de ses connaissances de l’histoire de la conquête de l’ouest, il horripile bien vite les autres touristes, abreuvés aux clichés hollywoodiens, excepté un ancien marines qui se range plutôt de son côté…


La couleur du western, le goût du western… Mais ce n’est pas un western
Avec une intro évoquant faussement un western, Bruno Duhamel nous entraîne d’emblée sur une fausse piste qu’il réempruntera un peu plus tard pour une séquence de western classique présentant une version revue et corrigée d’une fusillade présentée comme mythique, librement inspirée de celle d’O.K. Coral à Tombstone et qui inspira tant de cinéaste et fait à jamais partie de la légende de l’Ouest… Fausses Pistes, planche de l'album © Bamboo / DuhamelMais, mis en scène de façon dynamique et immersive, la scène est nettoyée de ses scories mythiques pour n’en retenir que la triste vérité du déroulé du duel… et c’est peu dire que l’étoile de Marshal de Wild Faith s’en retrouve quelque peu ternie ! Mais ce sera l’électrochoc qui va faire sortir Frank de sa torpeur. Le réveil sera brutal, mais indéniablement salutaire…

L’auteur signe un scénario original, alternant avec art des scènes contemplatives et des scènes d’action virevoltantes, dans la plus pure tradition du western… moderne… La façon dont l’auteur tisse son récit s’avère particulièrement envoûtante, avec une tension qui va crescendo jusqu’à la scène finale qui refait rebasculer le récit dans le western… Avant de se prendre de plein fouet a réalité… L’auteur multiplie avec art les fausses pistes, sinueuses et poussiéreuses, pour mieux pousser le lecteur à s’interroger sur son rapport à un genre aussi vieux que le cinéma qui véhicule clichés et images d’Epinal qui deviennent, pour beaucoup, une vérité irréfutable, fondatrice d’une nation…

Il y a bien souvent un gouffre insondable entre la légende et les faits ou personnage qui l’ont inspirée…. D’autant que les sources qui fondent le mythe sont elles même sujettes à caution, charriant leur lot de mensonges, de demi-vérités, de travestissements et d’enjolivements… Sans compter la bien-pensante qui vient fausser le discernement… Mais, comme le souligne avec raison l’exergue de l’album, tiré de l’Homme qui tua Liberty Valance, chef d’œuvre de John Ford : «Quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende »… Fausses Pistes, planche de l'album © Bamboo / DuhamelLes dialogues s’avèrent particulièrement jubilatoire et, conjugué à un savoureux comique de situation, les répliques cinglantes apportent une note délicieusement humoristique à l’ensemble.

On retrouve avec plaisir le trait semi-réaliste de Bruno Duhamel qui nous offre des visuels saisissant de l’Ouest américain, du Grand Canyon à Death Valley, et nous donne à ressentir la chaleur écrasante qui baigne ces lieux mythiques et chargé d’histoire cinématographique. Comme il l’avait fait dans son jubilatoire #nouveaucontact_, le dessinateur fait une nouvelle fois montre de son talent pour composer des personnages originaux à la fois archétypaux et iconoclastes. Ses plans et son découpage s’approprient les codes du western pour mieux les déconstruire, tournant en dérision le tourisme de masse et relativisant ainsi la fascination qu’exerce l’ouest américain sur nos contemporains en général et sur bon nombre d’américains en particulier… Bien que parfois surprenante, sa mise en couleur renforce l’immersion dans ce récit hors norme qui malmène les clichés de façon salutaire, tout en les utilisant pour servir son récit…

Fausses Pistes, planche de l'album © Bamboo / DuhamelFasciné comme d’autre par le mythe de l’ouest américain, Bruno Duhamel se propose de le déconstruire avec humour et lucidité…

Viré d’un boulot de figurant dans le spectacle rejouant quotidiennement la mythique fusillade de Woodstone (version délicieusement déformée de celle de Tombstone) Frank souffre d’un important trouble de la personnalité… En perte de repère, il va participer à un voyage touristique dans l’ouest américain payé par ses anciens collègues… Après s’être mis à dos la quasi-totalité des touristes, abreuvés de clichés et sclérosés par la bien-pensance, par ses remarques pourtant pertinentes mais trop moralistes et professorales, il va vivre une expérience mystique hallucinante qui va confronter le mythe à l’histoire…

Bruno Duhamel prend plaisir jubilatoire à porter un regard lucide et distancié sur le mythe américain, pour le déconstruire avec humour en empruntant des pistes aussi poussiéreuses que sinueuses, jouant avec les codes du genre pour mieux s’en affranchir.

L’auteur du jubilatoire #nouveaucontact_ signe avec Fausses Pistes un récit salutaire, solidement documenté et iconoclaste qui s‘avère parfaitement maîtrisé…


- Qu’il soit vrai ou faux, ce discours est « juste » !
- C’est ça. Et dans trois générations, les gamins apprendront que Cochise est mort en tombant de sa licorne.
- Mais vous êtes têtu comme une mule ma parole !!
- L’histoire est une chose sérieuse. Un ensemble de date, de détails, et d’événements précis ! Elle est sévère. Si on en oublie une partie… Elle se répète.dialogue entre une touriste et Frank
Chronique by Le Korrigan