★★★☆☆ En attendant l’aube…
Deux passantes dans la nuit, planche du tome 2 © Bamboo / Coutelis / Leconte / TonnerreAprès avoir passé quelques années à l’ombre pour un larcin qu’elle n’a pas commis, Arlette est libérée dans Paris occupé… Dans un cabaret où elle est rentrée presque par hasard, elle croise la route d’une magicienne prénommée Anna qui l’éblouit par ses tours. Mais le patron de la boîte n’est pas de cet avis et met flanque la jeune femme à la porte…

Anna est tout le contraire d’Arlette : elle est grave et méfiante là où Arlette est insouciante et légère. Ensemble, elles vont traverser une ville des lumières plongée dans l’obscurité du couvre-feu et dont les caves grouillent d’une vie insoupçonnée en dépit de l’occupation...


L’autre traversée de Paris…
S’il a commencé par la bande-dessinée avant de devenir le cinéaste que l’on sait, qui aurait pu croire que Patrice Leconte, réalisateur des Bronzés, de Ridicule ou de la Fille sur le pont allait revenir à ses premières amours pour signer une nouvelle bande dessinée ?

Deux passantes dans la nuit, planche du tome 2 © Bamboo / Coutelis / Leconte / TonnerreS’associant au scénario à Jérôme Tonnerre, avec qui il a travaillé sur plusieurs films et retrouvant Alexandre Coutelis, qui fut son collègue dans les coulisses du magazine Pilote, le cinéaste signe un scénario qui nous entraîne dans un Paris occupé à mille lieux des clichés et autres lieux communs pour une flânerie poétique et nocturne à la suite de deux jeunes femmes que tout semble opposer… Et si on pense un temps qu’Arlette, insouciante et sûre d’elle, parviendra à tirer Anna de la nasse dans laquelle elle semble enfermée, il apparaît bientôt, par un subtil jeu de bascule, que chacune d’elle sera la béquille de l’autre dans ce voyage au bout de la nuit truffé de références… Le scénario tire vers l’épure alors, qu’au fil de leurs errances et de leurs rencontres impromptues, Arlette et Anna se croisent et s’apprivoisent, ignorant où elles seront lorsque perceront les premiers rayons de l’aube..

Il se dégage une étrange douceur des planches concoctée par Alexandre Coutelis qui a signé avec Xavier Cucuel l’excellent Député. La délicatesse de son trait et son encrage plein d’élégance esquissent le portrait subtil d’un Paris méconnu et insouciant alors que ses planches sont subtilement rehaussées par son saisissant travail sur la lumière qui accentue avec grâce l’atmosphère délicieusement mélancolique et indubitablement cinématographique qui baigne ce récit léger et envoûtant…
Deux passantes dans la nuit, planche du tome 2 © Bamboo / Coutelis / Leconte / Tonnerre
Originellement destinée au cinéma, cette histoire de Patrice Leconte marque le retour du cinéaste à ses première amours. On sent ce glissement du septième au neuvième art dans l’approche des cadrages ciselés et la gestion subtile de la lumière d’Alexandre Coutelis dont le trait élégant et épuré apporte une douceur saisissante à l’album.

Dans le sillage vaporeux d’Arlette et d’Anna, deux femmes que tout semble opposer, le lecteur traverse le Paris occupé, écartelé entre ombres et lumières. Un Paris plein de dangers et de charmes, de belles ordures ou d’âmes charitables.

Avec ce cette balade nocturne, poétique romanesque qui décrit la rencontre de deux solitudes fuyant leur présent vers un avenir incertain, les auteurs esquissent le portrait saisissant d’une époque trouble…


Ah, te voilà ! Où t’étais passée ?... Je me suis fait un sang d’encre !Arlette

Chronique by Le Korrigan