★★★★☆ Une vie de combat
 Sévériano de Hérédia, Elu de la République, planche de l'album © Passés / Composés / Dethan / Ozanam / Bazar / Pepitom / VanderfCuba, port de Matanzas, 1844. La révolte des esclaves est en passe d’être sévèrement réprimée. Riche planteur, Ignacio Heredia décide de protéger son fils adoptif, mulâtre, en l’envoyant en métropole.

Après de brillantes études au lycée Louis le Grand, Severiano de Heredia vit en dandy épicurien et fortuné et passe son temps à ne rien faire avec application. Son ami Henri le presse de trouver un travail où il pourra exprimer ses nombreux talents. C’est comme journaliste qu’il va faire ses premières armes… Naturalisé en 1870, fuyant Paris après la défaite de Sedan, il n’y reviendra qu’après la chute de la Commune et s’engagera en politique. Fervent républicain, il tentera toute sa vie durant d’imposer ses idées sociales et progressistes. Elu au conseil municipal, il créera les premières bibliothèques municipales avant de devenir député puis Ministre des Travaux Publics. Il légifèrera sur le travail des enfants et la journée de travail limitée de onze heures et contribuera à l’essor de… la voiture électrique !


 Sévériano de Hérédia, Elu de la République, planche de l'album © Passés / Composés / Dethan / Ozanam / Bazar / Pepitom / Vanderf
Le biopic d’un homme politique injustement méconnu
Etrange qu’un tel personnage, brillant et compétent, qui occupa des postes importants au sein de la république française soit aussi peu connu de nos jours… Est-ce parce qu’il fut touché par le retentissant scandale de trafic de Légions d’Honneur qui éclaboussa le gouvernement Roudier dont il fit partie ? Parce qu’il fut balayé par un adversaire boulangiste après son dernier mandat ? Ou, plus probablement, parce qu’il fut noir et dû subir tant les foudres des journaux conservateurs que le paternalisme méprisant des Ferry et consorts ? Il suffit pour s’en convaincre de faire quelques recherches sur la toile pour voir la violence des caricatures et des sobriquets qui lui furent affublés par ses détracteurs et ses opposants politiques, notamment lorsqu’il fut élu président du conseil municipal.

Dans ce roman graphique publié par les toutes jeunes éditions Passés / Composés, Antoine Ozanam se propose de nous conter sa vie méconnue et pourtant éminemment romanesque. Il souligne toute l’ambigüité du personnage : bourgeois et rentier, il défendit le monde ouvrier; socialiste et progressiste, il ne fut pas un fervent défenseur de la Commune; républicain convaincu, il possédait une plantation où travaillaient des esclaves…  Sévériano de Hérédia, Elu de la République, planche de l'album © Passés / Composés / Dethan / Ozanam / Bazar / Pepitom / VanderfMais cela n’enlève rien à ses idées avant-gardiste et à sa haute idée de la politique où il mit toute son énergie et son brillant esprit pour faire évoluer une société corsetée… Incompris de part et d’autre de l’échiquier politique, il n’en reste pas moins un grand homme politique et justice lui est enfin rendu avec cet album aussi édifiant que passionnant qui joue de l’ellipse avec art.

Délaissant l’Egypte antique qu’elle aime tant, Isabelle Dethan nous entraîne dans le Paris pré-haussmannien de la Belle Epoque, des salons chics aux quartiers interlopes. C’est une capitale en pleine mutation qu’elle nous dépeint avec force détails, des ruines de la guerre civile dont Paris garde les stigmates aux appartements cossus et aux salons de la grande bourgeoisie. Gravitant autour de la figure de Severiano de Heredia, elle fait évoluer toute une galerie de personnages hauts en couleur, brossant un portrait assez complet de la société de l’époque. Assurée par toute une équipe d’artiste, les applats de couleur magnifient le trait élégant et l’encrage souple d’Isabelle Dethan, soignant tout particulièrement les éclairages et nous invitant à découvrir différents quartiers de Paris à différent moments de la journée…

Rehaussée de teintes surprenantes évoquant le travail des affichistes de l’époque, la couverture donne la mesure de ce que fut la vie de cet homme brillant qui dut batailler pour s’imposer en tant qu’homme de couleur dans une société pleine de certitudes et de préjugés archaïques.
 Sévériano de Hérédia, Elu de la République, planche de l'album © Passés / Composés / Dethan / Ozanam / Bazar / Pepitom / Vanderf
Quelle bizarrerie qu’il faille un album de bande-dessinée pour connaître ne serait-ce que l’existence d’un homme brillant qui a marqué son époque par ses prises de positions radicales et sociétales en occupant des postes à responsabilité… On aurait tôt fait de penser que si l’histoire n’a pas cru bon de retenir son nom c’est parce que Severiano de Heredia fut un homme de couleur… Et sans doute, hélas, ne serions-nous pas trop loin de la vérité…

L’inénarrable Antoine Ozanam et la talentueuse Isabelle Dethan rendent un hommage appuyé à ce fervent républicain qui se faisait une haute idée de la politique et de la possibilité qu’elle offre de changer le monde sans avoir à prendre les armes. Moqué et caricaturé dans la presse réactionnaire sur fond de racisme latent, de Heredia aurait été cité dans le discours d’investiture de Barack Obama… Sans doute est-il temps que les français connaisse le destin peu commun de cet homme hors norme…

Severiano de Heredia, Élu de la République met en lumière un homme brillant qui ne méritait clairement pas de rester dans l’ombre.


- Tu sais mon attachement pour l’enseignement gratuit, laïque et pour tous… Mais je ne pense pas que ça soit suffisant. Il me semble important que l’éducation, le savoir, sorte de l’enceinte des écoles.
- Qu’as-tu en tête ?
- Des bibliothèques appartenant à la ville, des lieux où l’on pourrait emprunter des livres gratuitement.
- Plusieurs ?
- Oui. Il y a quatre-vingts quartiers dans Paris. Il faudrait quatre-vingts bibliothèques de ce genre.dialogue entre Severiano de Heredia t son ami Herni

Chronique by Le Korrigan