★★★★☆ Le maître et l‘esclave
Marshal Bass, planche du tome 7 © Delcourt / Kordey / Macan / VitkovicC’est jour de fête chez les Bass : on baptise le petit Joe… Malgré cela, le Delilah’s General Store reste ouvert alors qu’à l’arrière de la maison, le marshal fait cuire poisson et porcelet à la broche pour les convives et amis de la famille invités pour l’occasion. Moïse Washington, alias Beef, et l’insatiable Révérend Dollar sont de la partie.

Après avoir évoqué la sanglante guerre de sécession et imaginé un bref instant un monde sans armes à feu, le révérend demande à Bass l’origine de son surnom, River… Le regard du marshal se durcit et la question le replonge plusieurs années en arrière, alors qu’il n’était que le jeune fils d’un esclave travaillant en Alabama, dans la plantation de la Bonté et qu’il s’apprêtait à tisser une relation étrange et ambigüe avec Maître Bryce, le fils du propriétaire du domaine…


dans les yeux du marshal Bass
Avec le Marshal Bass, Darko Macan et Igor Kordey ont créé un western âpre et rugueux particulièrement intéressant s’inspirant de la vie du Marshal Bass qui fut le premier shérif adjoint d’origine afro-américaine dont la série brosse un portrait très contrasté. Marshal Bass, planche du tome 7 © Delcourt / Kordey / Macan / VitkovicCette aventure diffère des précédentes en cela qu’elle ne propose pas de nous raconter l’une des affaires sur laquelle travailla Bass… Avec Maître Bryce, les auteurs se proposent de nous raconter la jeunesse tumultueuse d’un jeune esclave qui n’était pas encore l’homme que l’on sait…

Si le récit s’avère aussi entraînant qu’efficace, la structure narrative de l’album n’y est pas étrangère. Si on occulte le prologue et l’épilogue de l’histoire, le scénario est un long flashback durant lequel Bass se remémore sa jeunesse en tant qu’esclave et sa rencontre déterminante avec une crapule de bonne famille vivant assez mal de ne pas être l’aîné. Maître Bryce allait exploiter les nombreux talents de son esclave pour arnaquer son prochain, sans se rendre compte que leurs escapades interlopes allaient contribuer à forger son caractère et lui donner le goût d’une liberté inespérée.

Marshal Bass, planche du tome 7 © Delcourt / Kordey / Macan / VitkovicLe propos s’avère toujours d’une grande dureté, témoin la séquence au cours de laquelle Beef évoque ses souvenirs de guerre, de son tragique baptême du feu en passant par le photographe qui compose cyniquement ses scènes, déplaçant les corps et demandant au jeune soldat de jouer les morts pour accentuer la dramaturgie de ses clichés. A l’instar des westerns de Leone, aucun personnage n’est fondamentalement bon ou mauvais mais tous sont enclin à laisser libre cours à leurs plus bas instincts ou à leur part sombre lorsqu’il s’agit de se venger ou de sauver leur peau. Le souvenir du River Bass s’achève néanmoins sur une note quasiment romantique qui fait entrer un éclat de lumière dans ce récit implacable, sombre et violent… Mais l’éclaircie sera de courte durée car un meurtre allait rappeler le Marshal aux dures réalité… Mais ceci est une autre histoire…

Le travail d’Igor Kordey est toujours aussi impressionnant. Son trait puissant campe des personnages charismatiques et inquiétants dont il fait ressortir la noirceur et les fêlures alors que leurs trognes expressives et leurs regards appuyés retranscrivent les sentiments tumultueux qui les animent, soulignant la violence de certaines séquences. Son encrage épais donne d’emblée une identité forte à la série et l’artiste surprend par son découpage et ses cadrages audacieux qui servent avec force sa narration impeccable. Marshal Bass, planche du tome 7 © Delcourt / Kordey / Macan / VitkovicLes couleurs de Nikola Vitkovic sont elles aussi de haute tenue tant sa façon singulière de traiter la lumière force l’admiration.

Episode atypique, Maître Bryce nous entraîne dans la jeunesse tumultueuse de River Bass pour y suivre son parcours initiatique auprès de son jeune Maître qui lui apprendra à se servir d’un fusil et à prendre des libertés avec la légalité, lui donnant sans s’en rendre compte le goût de la liberté…

Âpre et rugueux comme les albums l’ayant précédé, ce septième tome nous donne les clefs pour comprendre la personnalité complexe et tourmentée et l’attitude cynique et désabusée de ce Marshal iconoclaste qui confère à la série une saveur unique. Rehaussée par les subtiles couleurs de Nikola Vitkovic, le dessin si particulier et l’encrage puissant d’Igor Kordey servent remarquablement l’implacable récit de Darko Macan…


- Avoir un peu faim ne fait de mal à personne.
- Seriez-vous en train de suggérer que je mange trop ?
- Non révérend ! Personne n’a dit ça !
- Tout ce que je dis, c’est qu’avec le ventre trop plein, on devient trop lent… Et lors d’un duel, on n’a pas envie d’être le plus lent.
- Ahh, Marshal… Je comprends ce que vous dites, mais nous ne vivons pas tous dans le monde des armes !
- Ne vivons-nous pas tous dans le même monde ?
- Dans un monde qui change ! L’esclavage est aboli, la guerre est terminée, et un jour, il n’y aura plus besoin d’armes à feu non plus.
- Il n’y aura plus besoin d’armes à feu quand on aura inventé une meilleure arme…dialogue entre le Marshal Bass, le révérend Dollar et Madame Bass

Chronique by Le Korrigan