★★★★☆ Le pain de l’autre
Au nom du pain, planche du tome 1 © Glénat / Lejeune / Gaudin / Burgazzoli1937. Le jour des onze ans de Marcelin, par une belle journée ensoleillée, sa famille et lui emménagent dans la petite bourgade de Saint-Jean pour y installer une nouvelle boulangerie. Les premiers jours ne furent pas aisés car aucun client n’est venu pousser la porte de leur boutique… Jusqu’à ce que Madame Lacore ne vienne acheter trois pains et constater qu’il était bien meilleur que celui de la concurrence…

1940. Depuis le départ de son mari au front, Marguerite Martineau s’occupe seule de la boulangerie, aidée par Marcelin et sa grande sœur, Monique. Le 21 juin, l’armée allemande arrivait et s’installait durablement…

Une nuit, Marguerite recueille et soigne un résistant blessé et traqué par l’armée allemand. Dénoncé par le voisinage, leur boutique et leur domicile est fouillée par l’obersturmführer et ses hommes et seule la présence d’esprit de Marcelin leur permettent de se sortir de ce mauvais pas. Quelques temps plus tard, Marcelin va entrer en résistance et, avec l’aide de sa mère et de sa sœur, mettre en place un ingénieux mais dangereux système de communication en recopiant et cachant des messages dans le pain…


l’amorce d’une saga familiale originale et prometteuse
Jean-Charles Gaudin nous entraîne au cœur des années noires de l’occupation pour une saga familiale originale et prometteuse. La structure narrative s’avère tout à la fois classique et bougrement efficace…

Au nom du pain, planche du tome 1 © Glénat / Lejeune / Gaudin / BurgazzoliLa première séquence nous immerge au cœur du récit. Elle nous montre une jeune femme et un officier allemand dans une cuisine. On ne sait rien d’eux, ni qui ils sont, ni ce qu’ils font là. La discussion semble étrangement légère et anodine… Mais la mise en scène est telle qu’on perçoit un sous-texte inquiétant et une tension formidablement retranscrite. Ce qui se joue dans cette cuisine est loin d’être anodin et la dernière image de la scène ne fait que le confirmer. Le flashback qui suit détend quelque peu l’atmosphère et l’on va suivre l’installation de la famille Martineau… Mais le lecteur sait que les méandres scénaristiques nous reconduiront dans cette cuisine, à l’instant exact où on l’avait abandonnée, faisant naître ce sentiment d’attente et de frustration qui donne envie de poursuivre la lecture…

S’inspirant de la ville de Saint-Jean-de-Monts dont il est originaire, le scénariste chevronné dépeint la vie de cette petite bourgade côtière et de ses habitants avec finesse et minutie. En faisant de Marcelin le narrateur de l’histoire, il esquisse le portrait de la famille, la raison de leur présence, le ressentiment du boulanger du village, l’attitude des habitants à leur égard… avant que la guerre ne vienne bouleverser leur quotidien : le départ du père au front, la famille qui s’organise comme elle peut, l’arrivée des troupes allemandes, les premières pénuries… Avec sensibilité, le scénariste brosse un portrait subtil et nuancé des principaux protagonistes de l’histoire, rendant Marcelin, Marguerite et Monique particulièrement attachants, et leur histoire plus prenante…

une narration graphique subtile et efficace
Révélé par Trop de Bonheur (sur un scénario de Jean-David Morvan), Steven Lejeune fait montre, comme dans toutes les séries auxquelles il a collaboré, d’un saisissant sens du découpage qui rend sa narration graphique particulièrement fluide tout en en accentuant la dramaturgie. La scène inaugurale de l’album montre le talent de metteur en scène de l’artiste tant il parvient à retranscrire, grâce à des cadrages bien sentis et une attitude des personnages savamment étudiée, l’atmosphère pesante qui rend la scène si efficace… Au nom du pain, planche du tome 1 © Glénat / Lejeune / Gaudin / BurgazzoliLa douceur des couleurs de Roberto Burgazzoli illumine les planches de l’album et fait ressortir l’humanité des personnages…

Abordant la sombre période de l’occupation par un biais audacieux, Jean-Charles Gaudin amorce une saga familiale originale et ambitieuse qui se poursuivra durant les Trente Glorieuses…

Conjuguée au dessin généreux de Steven Lejeune, son écriture ciselée nous dépeint avec subtilité le quotidien d’un village durant l’occupation en mettant en scène des personnages attachants dont les destins croisés, entre rivalités commerciales et sentiments naissants, alimenteront les tomes à venir.

Ce premier tome s’inscrit dans la droite lignée des Maître de l’Orge ou d’un village français, auquel le scénariste a participé, et nous raconte une époque à travers la vie de personnages ordinaires confrontés à l’Histoire…


- Madame, je suis dans l’obligation de fouiller votre maison ! Ça ne sera pas long !
- … Je… Je ne comprends pas ! Vous cherchez quoi ?
- Un homme a saboté un de nos véhicules et un témoin affirme avoir vu quelqu’un rôder autour de votre boulangerie…
- Qui vous a dit une chose pareille ?
- Je ne peux pas vous le dire Madame Martineau ! Laissez faire mes hommes ! C’est une simple formalité.dialogue entre Marguerite Martineau et l’obersturmführer

Chronique by Le Korrigan