★★★★☆ L’heure des doutes
Chez Adolf, planche du tome 3 © Delcourt / Marcos / Rodolphe/ FogolinDepuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir, Karl Stieg, modeste professeur de littérature, s’efforce avec application de garder ses distances avec la politique même s’il a prudemment pris la carte du parti nazi…

Côté professionnel et sentimentale, la vie de Karl connaît une embellie : suite au bombardement de la Royal Air Force sur un immeuble voisin, il s’est vu contraint d’héberger une jeune femme prénommée Mona et sa mère et vit, depuis la mort de cette dernière, une idylle inattendue avec Mona. Après la mort du directeur de l’établissement où il officie, les autorités lui a confié le poste…

L’armée du Reich a connu un sérieux revers aux portes de Stalingrad et les villes allemandes sont régulièrement bombardées… Censé enflammer les cœurs et évoquant « la guerre totale », le discours de Goebbels inquiète Karl plus qu’il ne le rassure… C’est alors qu’il reçoit une lettre de Hilde dans laquelle cette dernière l’invite à son mariage… Sans doute ne s’y serait-il pas rendu si son ami Gunther ne lui avait téléphoné et n’avait insisté pour qu’il vienne, arguant qu’il avait des choses d’importance à lui dire, en privé…


Chez Adolf, planche du tome 3 © Delcourt / Marcos / Rodolphe/ Fogolin
les tournants de l’année 1943…
Avec ce troisième opus, Rodolphe poursuit son saisissant portrait de l’Allemagne hitlérienne, de sa prise de pouvoir jusqu’à sa chute retentissante… Pour se faire, il passe à travers le prisme d’un homme ordinaire et effacé qui reste prudemment à l’écart des tragiques évènements qui secouent son pays, son quartier et son immeuble, avec, en bas, cette fameuse brasserie, rebaptisé « Chez Adolf » par son propriétaire en hommage au Führer, qui voit se croiser des personnages aux idées et aux aspirations très différente, voire franchement antinomiques…

Une fois encore, le scénariste choisit de faire un nouveau bond temporel en poursuivant son récit quatre ans après les évènements relatés dans le second. Ces ellipses narratives permettent au scénariste de décrire de façon saisissante l’évolution des mentalités entre la montée du nazisme qui avait redonné au peuple allemand leur fierté perdue narrée dans les premiers opus, le déclenchement de la guerre est les victoires retentissantes de l’armée du Reich relaté dans le second, pour aborder avec ce troisième tome les premiers revers de la Chez Adolf, planche du tome 3 © Delcourt / Marcos / Rodolphe/ FogolinWehrmacht qui amorcent le début de sa fin et la tardive prise de conscience du personnage principal, un professeur un peu pâlot qui se contentait jusque-là d’observer prudemment et de se garder de prendre clairement position… Sa position personnelle s’est vue grandement améliorée par le conflit mais de tragiques évènements survenus en 39 vont refaire surface et menacer le confort relatif de Karl Stieg… Les tournants de l’année 43 ébranlent son attitude de prudente neutralité alors que certains, jusque-là fervents partisans du Führer, affichent ouvertement leurs doutes ou ont une attitude bien plus héroïque que lui… L’heure de prendre parti est-elle enfin venue pour le professeur Stieg ?

Mis en valeur par un encrage élégant et les couleurs subtiles de Dimitri Fogolin, le dessin de Ramón Marcos s’avère particulièrement efficace. Ses crayons campent des personnages attachants en soulignant leurs contradictions et, par là-même, leur humanité. Même si on peut être pris du désir de secouer un peu Karl pour qu’il ouvre les yeux accorde ses actes à ses doutes naissants, le professeur n’en reste pas moins touchant et attachant dans ses hésitations et ses atermoiements…

Chez Adolf, planche du tome 3 © Delcourt / Marcos / Rodolphe/ FogolinLes années passent et, s’il reste prudemment à l’écart des passions qui agitent ses contemporains, Karl Stieg, professeur fade et effacé encarté au parti nazi, se voit gratifié d’une promotion après avoir trouvé l’amour auprès d’une jeune femme qu’il a recueilli chez lui suite à la destruction de son immeuble par un bombardement de la Royal Air Force… Mais, alors que la Wehrmacht connaît ses premiers sérieux revers, le passé semble refaire surface et menacer la vie discrète et bien rangée de cet homme indécis…

Oscillant entre humour et lucidité, Rodolphe et Ramón Marcos poursuivent leur récit historique qui retranscrit avec justesse le quotidien d’une poignée d’hommes et de femmes habitant le même immeuble et partageant des vues très différentes sur les évènements qui secouent leur quartier et ébranlent l’Allemagne…

A un tome de sa conclusion qui verra la chute du Reich et Karl s’engager ou payer le prix de son indécision, ce troisième opus de Chez Adolphe s’avère tout aussi entraînant que les deux premiers…


Le Monde ne tourne plus rond, Mona ! On va tous y passer. La guerre totale, on y est déjà… Hitler est fou ! Il nous mène au désastre !... Exactement, comme le joueur de flûte de Hamelin. Tu connais l’histoire. Eh bien c’est pareil : il a charmé l’Allemagne et maintenant…
- Tais-toi !
- Pourquoi me taire ? Parce qu’il ne fait pas dire certaines choses ou parce qu’il ne faut même pas les penser ?dialogue entre Karl et son épouse


Chronique by Le Korrigan