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Entretien avec Bruno Cathala
entretien accordé aux SdI en mars 2008


Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi (parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse.) ?
Bruno, bientôt 45 ans, un âge auquel ce n'est plus le bilan de tes études qui compte, mais ce que tu as fait depuis. Des qualités, euh.. oui peut être, genre enthousiaste, créatif, facétieux... mais surtout des défauts, genre impulsif, têtu, pénible à vivre (p'têt pour ça que je suis seul, tiens...) sinon ça ne serait pas drôle.
Des passions, oui, bien sûr... il n'y a rien qui m'effraie plus que ceux qui n'ont pas de passion, ou qui te dise très sérieusement, moi, ma passion dans la vie ce sont mes enfants (ben.. heureusement.. et à part ça ????). Donc côté passions, le sport (vélo, rugby, tennis), et le théâtre (que je pratique en amateur). Ah oui.. le sexe aussi, mais c'est pas réciproque.
Côté bancaire... j'accepte tout don spontané sur un compte que je communiquerai aux donateurs par mail privé !

Enfant, quel joueur étais-tu?
Un joueur qui a commencé par être très fâché lorsqu'il s'est rendu compte, petit, que sa maman faisait parfois exprès de le laisser gagner. Sentiment insupportable puisqu'il remettait en cause la vérité de toutes les victoires jusque là apparemment chèrement acquises.

Un joueur qui a surtout joué aux 'grands classiques' comme les échecs, les dames, le go, l'othello. Et aussi un peu au cluedo (c'était pour faire plaisir aux filles) et au risk (mes les filles elles aimaient pas) et aussi à Richesses du monde, bien plus intéressant que le Monopoly

Si enfant on joue beaucoup, plus rares sont les adultes qui s’adonnent régulièrement aux jeux de société… Un jeu en particulier t’as t il fait basculer dans les « jeux pour grands » ou n’as-tu finalement jamais cessé de jouer?
C'est Fief, découvert par la revue aujourd'hui disparue Jeux & Stratégie, qui m'a amené au jeu 'moderne'. J'ai adoré dès la lecture des règles cette ligne qui indiquait qu'on n'était jamais obligé de tenir les promesses faites lors des négociations secrètes... ce qui nous a valu de belles empoignades ludiques, ponctuées de hautes trahisons et de rancunes tenaces sur plusieurs parties. La vraie vie, quoi !

On a beaucoup opposé jeux allemands (belle mécanique) aux jeux américains (thème fort), plaçant souvent les jeux français entre les deux… Penses-tu aussi qu’il existe différents écoles ludiques?
Je pense que ce débat est de plus en plus dépassé. Internet étant là, j'ai le sentiment que le paysage ludique est aujourd'hui véritablement international, et que le melting pot en découlant n'a plus grand chose à voir avec telle ou telle nationalité. Bref, pour une fois, la mondialisation a du bon ! J'ai le sentiment que chacun, maintenant créé en fonction de ses goûts, de ses envies et pas en fonction de son pays d'origine.



Vue de France, on avait, il y a quelques années encore, l’impression que l’Allemagne est une sorte de paradis du jeu où l’on trouve de petites perles même en grande surface, alors que nos magasins ne proposent que bonne paye, monopoly ou le jeu de la star ac… Aurais-tu une explication à ce fossé culturel qui fort heureusement semble se combler peu à peu ?
Je ne suis pas sociologue, donc il m'est bien difficile de disserter sur tel ou tel fossé culturel.
Je ne crois pas que l'Allemagne soit le paradis du jeu que l'on imagine.

Certes, il y a le fabuleux Spiel des Jahres, dont rêve tout auteur et éditeur et qui assure quelques dizaines de milliers de ventes, certes il est possible de trouver des jeux autres que le monopoly en grande ou moyenne surface, mais la réalité de ce marché n'est pas aussi florissante. Les éditeurs s'y livrent une guerre des prix qui tire tout vers le bas, et certains des acteurs majeurs (éditeurs, distributeurs, boutiques) sont en train de mourir. Du coup, les tirages sont souvent faits en faible quantité (genre 6000 imprimés, mais 3000 seulement montés tout de suite. Et si ça ne prend pas immédiatement, on met tout à la décharge).

Alors finalement, le paysage français me parait plus ensoleillé qu'on veut bien le dire, avec des éditeurs travaillant pour laisser une vraie chance au produit de s'installer.

Quel est en ce moment votre jeu de chevet ?
Je joue quotidiennement à Mr Jack sur le site www.biludi.de.
Je n'y joue pas parce que j'en suis un des concepteurs, mais juste parce que c'est exactement le genre de jeu dans lequel je méclate. D'ailleurs, si je compte les parties online, les tests au moment de la création, les animations dans les salons, les parties amicales et tout ça, j'ai dépassé les 1000 parties à ce jeu: un record pour moi !
Sinon, les jeux auxquels je joue régulièreme, sont rarement des jeux que l'on trouve en boutique, mais plus des prototypes, soit parce que j'en suis un des auteurs, soit parce que je participe à une soirée test sur le protos d'amis.
Maintenant, en ce qui concerne les jeux publiés, j'attends impatiemment Les aventuriers du rail en jeu de cartes, que j'ai eu la chance de pouvoir tester à Essen au stade du proto et qui est très très bien, et aussi Metropolys.




De joueur à créateur, comment avez-vous franchi le pas?
Assez naturellement en fait. L'envie de créer mon jeu datait de l'époque Jeux & Stratégie, puisque le fameux jeux qui m'a amené au jeu' moderne' (Fief), était le gagnant du concours de créateur de la ludothèque de Boulogne Billancourt. Sauf que plus jeune, je n'avais pas le début d'une idée. Alors je me suis nourri de jeux, au fil des années, avec un rôle de 'missionnaire ludique', que je m'étais attribué tout seul. A savoir que c'est moi qui me chargeais de me tenir au courant de l'actualité ludique, d'acheter des jeux et de les apprendre à mes ami(e)s. Et même parfois de faire les courses pour eux lorsqu'ils avaient aimé.
Et puis à force de modifier des points de règles qui ne me convenaient pas, j'ai décidé de sauter le pas et de me lancer dans l'aventure de la création de mon jeu: Sans Foi Ni Loi... Cette période a aussi coincidé avec un tournant dans ma vie personnelle, que ce soit sur le plan personnel (divorce) ou sportif (genou tout cassé, donc arrêt du rugby).. donc plus de temps.. et surtout besoin d'occuper la tête.. ça tombait bien !



Parmi vos nombreuses création, quel est le jeu dont vous êtes le plus satisfait?
Difficile de dire celui que je préfère parce que j'ai vraiment une tendresse particulière pour chacun. Celui que j'aime le moins est peut être Igloo Igloo, sorti chez Goldsieber, et passé relativement inaperçu. C'est celui que j'aime le moins, parce que les modifications de règles qu'il a subi du fait de l'éditeur, qui voulait le destiner à un public plus familial, ont finalement enlever un peu de la substantifique moelle du jeu.
Sinon, ceux qui me font le plus plaisir sont ceux pour lequel le public s'est le plus enflammé, parce que les jeux, je les fais avant tout pour les partager avec le plus grand nombre. Alors sur ce plan, je ne peux qu'être aux anges avec 'Les chevaliers de la table ronde', 'Du balai' et 'Mr Jack' !

Quel jeu aurais-tu aimé inventer?
Magic the gathering !! Rarement un jeu m’aura donné autant de plaisir sur une durée aussi longue. Et c’est un mine inépuisable d’idées pour les créateurs de jeux. D’ailleurs, la mécanique de choix des personnages de Mr Jack n’est autre qu’une des méthodes de draft lorsque l’on joue à magic et qu’un seul des deux joueurs possède des cartes.

Y-a-t-il un point de départ commun à vos nombreux jeux? Est-ce une idée de mécanique que vous développez ou partez vous le plus souvent d’un thème que vous souhaitez traiter?
Les deux cas existent, à peu près à part égale, et je n'ai pas de préférence pour l'une ou l'autre voie. Je me laisse guider par mes envies et mon intuition.

Vous vous êtes associé à plusieurs auteurs (Bruno Faidutti, Ludovic Maublanc, Serge Laget ou plus récemment Sébastien Pauchon et Malcolm Braff et j’en oublie peut-être) pour créer certains jeux. Comment s’organise un travail à plusieurs cerveaux autour d’un jeu? Brainstorming réguliers? réunion pour échanger ses idées? Longue séance de travail collective?
Effectivement, il en manque un: Antoine Bauza, l'auteur du récent Chabirynthe. Retenez bien ce nom: Talent à l'état pur, et je prédis à ce garçon une bonne dizaine de jeux publiés dans les deux à trois ans qui viennent....
Quand au travail en association, il n'y a pas de recette, tout dépend vraiment du duo. Alors il s'agit parfois d'échanges de mails et de coups de téléphone, avec des tests en parallèle chacun chez soi (ça c'est plutôt avec Bruno Faidutti), il s'agit parfois d'un fonctionnement 'à toi à moi', à savoir que l'un commence, transmet le bébé à l'autre qui poursuit, qui lui redonne et ainsi de suite (ça c'est plutôt avec Ludovic Maublanc), ou encore de longues séances généralement nocturnes à trois (ça c'est avec mes compères suisses Sébastien Pauchon et malcolm Braff).
Je pense que ce qui me caractérise, finalement, c'est peut être ma capacité à m'adapter au mode de fonctionnement qui convient le mieux à mes partenaires.


Comment est né Jamaïca, un jeu de course de pirates aussi bon que beau?
Jamaica est avant tout un jeu créé sur commande pour une société d'assurance suisse, Assura, qui souhaitait un jeu évènement à offrir pour fêter ses 30 ans.
Cette belle aventure doit énormément à Sébastien Pauchon:
C'est lui que le client à contacté suite à un article dans la presse locale
C'est lui qui a eu l'idée du système du choix des dés qui conditionne le nombre d'actions du matin et de l'après midi
Enfin et surtout, c'est lui qui a pris en charge la fonction de chef de projet (avec entre autres le suivi et cadrage de l'illustrateur) en ce qui concerne la réalisation.
Bref... Même si j'ai évidemment apporté ma pierre à l'édifice, je ne peux qu'être admiratif devant le travail réalisé, et reconnaissant d'avoir été invité à partager cette aventure.

Quelle a été ta contribution à ce sympathique jeu de pirates?
Lorsqu’un travail a lieu en collaboration entre plusieurs auteurs, cel n’a pas vraiment de sens de savoir qui a fait quoi. Car lors d’une séance de brainstorming, ton idée n’est toujours qu’un rebond sur l’idée de quelqu’un d’autre, et ainsi de suite.. Jamaica est un jeu à 6 mains… et c’est tout !

Peux-tu en quelques mots nous raconter l’aventure de Stonehenge dont la première extension vient de sortir…
Stonehenge est un projet à part. Une sorte d’exercice de style, un peu à la manière dont les écrivains du mouvement de l’oulipo (ouvroir pour la littérature potentielle) concevaient leur travail. L’idée de base est, à partir d’un matériel défini en commun, de faire travailler plusieurs auteurs en parallèle pour qu’ils proposent une règle utilisant tout ou partie de ce matériel.
Le jeu de base réunissait ainsi des gens comme Bruno Faidutti, Richard Garfield, Mike Selinker, Richard Borg et James Ernest, excusez du peu !!
Alors quand Mike, à l’origine du projet, nous a contacté, Serge et moi, c’est avec enthousiasme que nous avons relevé le challenge d’intégrer le projet, en concoctant un petit jeu de déduction dont nous sommes plutôt contents…



Sur quel(s) projet(s) travailles-tu en ce moment?
J’ai effectivement pas mal de projets sur le feu, presque tous en collaboration.
Un jeu de fouilles archéologiques avec Antoine Bauza, un jeu sur la Grèce antique avec des créatures mythologiques en compagnie de Ludovic Maublanc (qui n’est pas une créature même s’il est un auteur mythologique), un gros truc dont il est bien trop tôt pour parler avec Serge Laget, et d’autres trucs pour des clients privés, dans le cadre des jeux d’entreprise, en partenariat avec gameworks (Sébastien Pauchon et Malcolm Braff).. enfin… tout ça.. et d’autres choses encore moins sûres !!!

Parmi les jeux dont la sortie est annoncée, quel est le jeu que tu attends le plus?
A court terme, incontestablement, Metropolys de Sébastien Pauchon, parce que je connais le jeu depuis le stade du proto et que c’est vraiment très, très bon. Dommage que mes yeux aient quelques soucis avec la lisibilité du plateau, parce que j’aurai noté 12 sur 10… là, ce ne sera que 9 sur 10 !!
Et puis aussi les aventuriers du rail en jeu de carte. Testé sur proto à Essen en compagnie de l’éditeur. Un grand coup de chapeau à Alan Moon qui a su donner une dynamique toute particulière à cette version cartes qui ne va pas me quitter quand je vais faire jouer mes amis.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Euh… non, ça va, là..

Pour finir et afin de mieux te connaître, voici un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Un personnage de cinéma :
Lino Ventura dans « les tontons flingeurs »
Un personnage de BD :
Romuald, le bélier du génie des alpages
Un personnage de roman :
N’importe quel personnage du Trône de Fer.. à lire absolument
Un personnage de théâtre :
Konrad Wielfried Hans Schwarz, garde suisse aux tuileries sous la révolution, en fuite à travers la France pour retrouver sa suisse natale où il fait bon vivre !!
(c’est le personnage que je joue actuellement au théâtre avec une troupe amateur locale.. un grand moment de bonheur avec cette pièce écrite initialement pour Jacques Fabri, et qui est une sorte de « grande vadrouille » sur planches)
Une recette culinaire:
La tartiflette
Un mécanisme de jeu:
La prise en passant

Un grand merci pour le temps que tu nous a gentiment accordé !
Le Korrigan



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