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Esoterroristes, un système novateur
une chronique de Sethmes


Vous êtes l’élite des investigateurs luttant contre les complots des Esoterroristes, une vaste organisation de terroristes occultes, visant à déchirer la trame du monde pour y laisser entrer des monstres.
Esoterroristes présente le système de règles Détesctive/Gumshoe qui révolutionne les scénarios d’enquête, en assurant aux joueurs tous les indices cruciaux dont ils auront besoin pour avancer dans l’intrigue.



Est-ce nouveau ?

Jeu light permettant de développer un système (Detective/Gumshoe) et une philosophie du jeu d'investigation plutôt qu'un univers (pas désagréable, fourre-tout et réduit à quelques pages), Esoterroristes se propose d'être une alternative rafraîchissante à toute une génération de jeux d'enquêtes. Tous les jeux d'enquêtes, en fait, car l'auteur estime qu'Esoterroristes arrive à point pour dissiper un malheureux malentendu : depuis toujours, on joue mal, avec de mauvais systèmes, hérités des poids lourds med-fan du passé dont le seul défi consistait à cogner des orcs pour en tirer quelques piécettes.

Esoterroristes est fondé sur une poignée d'axiomes censés être le fruit de la recherche high-tech en jdr outre-atlantique des 10 dernières années : un jeu d'enquêtes privilégie l'exploitation des indices par les joueurs, pas leur récolte par les personnages ; le combat n'est pas central ; il n'est pas question d'interrompre l'aventure faute de combattants ou d'indices. En somme, l'esprit sous-jacent du système et de la mise en scène est calqué sur les modèles des séries TV américaines : l'histoire doit avancer coûte que coûte, ne pas être bridée par les faiblesses des personnages et encore moins être confiée aux aléas des dés.

Beaucoup de choses me plaisent dans le système Gumshoe qui fait tourner Esoterroristes. Ayant développé une approche similaire à certains égards pour un système maison (réussites automatiques, réserves 'professionnelles'...), je ne peux être que satisfait de voir ces principes mis en oeuvre, testés, peut être pas totalement finalisés, mais au moins diffusés de manière à peu près carrée. Les mécanismes et conseils de jeu apparaissent à certains comme réchauffés, évidents, de bon sens, mais pour moi, il est bon de les voir formalisés. Ca me parle, j'attendais quelque chose dans le genre depuis longtemps. Pas totalement révolutionnaire (c'est une forme de diceless à la Active Exploits en fin de compte, intégré à la structure du scénario d'enquête), mais une belle profession de foi et une solution technique adaptée.


Aller à l'essentiel : l'histoire

Contrairement à beaucoup d'autres systèmes, Gumshoe ne cherche pas à modéliser un être humain que l'on confronte ensuite à un monde virtuel, en se félicitant des résultats plus ou moins réalistes fournis par les règles. Les caractéristiques d'un perso Gumshoe ne sont présentes sur la fiche que pour une seule raison : elle seront vraisemblablement utilisées en cours de partie, peu importe d'où elles sortent. On n'a pas droit à l'habituelle phylogénèse de la compétence acquise développée sur le socle d'une caractéristique innnée. La question est : John, tu sais dater l'heure de la mort en te basant sur les pontes de mouches nécrophages ou pas ? Tu peux encaisser un coup de batte derrière l'oreille ou pas ? Pas de Dextérité susceptible d'expliquer pourquoi un tireur chevronné ne peut pas être complètement manche avec un bistouri. Non, tous les personnages sont fondés sur une base similaire, qui importe peu. Seules leurs spécialités ont un intérêt car elles feront la différence dans l'histoire. Ainsi, la liste de compétences est brute, organisée mais pas hiérarchisée. L'important n'est pas ici d'avoir un personnage dont les scores reflètent une quelconque réalité des apprentissages ou du développement mais simplement un acteur doté de connaissances et de capacités dans le cadre d'un épisode de série. Period.


Le héros du jour : l'indice

Gumshoe propose donc une batterie de compétences d'investigation couvrant les besoins habituels d'une enquête menée par des spécialistes. Elles sont divisées en Technique (Analyse de documents, Ballistique...), Académique (Histoire de l'Art, Compta légale...) et Relationnel (Détecteur de mensonge, Réconfort...). Leur fonctionnement est au coeur du système Gumshoe. Chaque scène ou situation critique de l'histoire (le lieu du crime, l'appartement du suspect, une lettre tapée par la victime...) recèle un certain nombre d'indices qu'il est possible de révéler en faisant appel à une compétence d'investigation. Il suffit de posséder au moins un point dans la compétence pour obtenir l'information indispensable à la poursuite du scénario : un point en Analyse de documents permet de comprendre que la lettre trouvée chez la victime a été tapée à la machine à écrire, manifestement il y a plusieurs années de cela. Mais ce n'est pas tout : il est possible de dépenser des points de sa réserve de compétence pour obtenir des indices supplémentaires. En effet, à chaque compétence est associée une réserve de points dont la valeur maximale est égale au score de ladite compétence (score de 3 en Entomologie légale -> réserve de 3 points). Cette réserve traduit de manière abstraite l'expertise du personnage et à chaque point dépensé correspond une info en plus si la scène comprend réellement des infos supplémentaires. Le spécialiste en Analyse de documents pourra découvrir que la lettre a été tapée avec une machine à écrire du début du siècle et que le papier semble avoir été vieilli artificiellement (dépense d'un point). Il saura même que le papier est en fait récent et que le filigrane a été dissimulé à l'aide d'une technique que l'on peut trouver sur un forum internet fréquenté par des faussaires amateurs (dépense de 2 points). Simple, de bon goût mais ce principe demande une grosse préparation des scènes critiques, des indices et ainsi une bonne maîtrise de son sujet par le MJ.


Un peu d'aléas

Il existe également une liste de compétences générales au fonctionnement différent, plus classique (Athlétisme, Conduite, Premiers Soins...) qui couvrent le reste de l'histoire. Plus adaptées aux situations incertaines et mouvementées, elles sont de simples réserves de points que l'on ajoute à un D6 afin de vaincre une Difficulté. J'ai 6 en Athlétisme et l'échafaudage sur lequel je me trouve s'effondre. Je dépense 3 points de la Réserve pour faire 1D6+3 et espérer atteindre le seuil de 6 fixé par le MJ. Simplissime. Et pourquoi pas ? Il faut ajouter à cela quelques règles de gestion de la santé physique et mentale, de récupération des réserves, tout aussi simples et on a un système exploitable en une heure.


Un avis sur le fond

J'aime la philosophie du système Gumshoe, sa limpidité, sa modularité aussi : il suffit d'ajouter ou dégager une compétence adaptée à un contexte particulier, vu qu'il n'y a pas de grosse machine logique derrière la construction du personnage. Je ne l'ai pas trouvé si prétentieux qu'on a pu le dire. L'auteur pense simplement qu'il est idiot de faire des jets de dé pour trouver des indices dont la possession est de toute manière indispensable à la progression de l'histoire. Hum, tu as loupé ton jet de Toc, ton test de Perception/Scène de Crime... Comment faire... Le MJ finira toujours par fournir l'info capitale, au mépris des règles, mais pourra faire l'économie des indices annexes. Gumshoe, c'est l'inverse. En 'activant' la compétence, on a l'info, pas la peine de tourner autour du pot, et c'est en dépensant des points que l'on obtient des indices complémentaires et des détails sur les protagonistes, l'histoire, son contexte, la big picture...

Gumshoe a également les défauts de ses qualités : il évacue un plaisir bien connu, celui de jeter les dés pour savoir si on a découvert l'indice, et le déplace vers celui de servir une histoire en exploitant au mieux les informations. Cela requiert une préparation solide des scénarios car le challenge n'est plus dans l'obtention des données, le suspense du dé qui roule, tombe de la table au milieu des cris d'impatience. Par ailleurs, il est parfois difficile de savoir quand déclencher les compétences : comment découvre-t-on fortuitement la bombe placée sous le siège de la voiture ? Le PJ ne peut être constamment en alerte, faut-il que le MJ propose la dépense de points de Surveillance, comme ça 'sans raison' ? Pas question de faire de jet derrière l'écran. De même, un interrogatoire est une action essentiellement roleplay, comment retranscrire les effets de la dépense de points sans pour autant trahir ou contraindre les choix des joueurs ? Des exemples seraient vraiment les bienvenus. Le scénario, que j'ai beaucoup aimé, clarifie pas mal de points, mais suscite également beaucoup de questions pratiques sur l'utilisation de ces règles. Espérons qu'un forum actif à ce sujet permette d'y voir plus clair. Enfin, l'histoire doit être sévèrement ficelée, les indices précis et techniques au vu des compétences proposées, dotés de différents niveaux de profondeur compte tenu du principe de la dépense de points. Il va falloir trimer et ce n'est pas le contexte qui va nous y aider.

Et oui... Vous aurez remarqué que j'ai volontairement laissé de côté l'aspect Esoterroristes au profit de Gumshoe. Le contexte de jeu est quasiment inexistant et ressemble plus à une manière d'illustrer les règles qu'autre chose. Ca ne me choque pas outre mesure car j'étais avant tout intéressé par le système. Toutefois, le livre aurait immensément gagné à disposer de descriptifs plus précis des nombreuses compétences d'investigation et de leur utilisation dans le jeu. Le volume du bouquin aurait sans doute triplé mais un rapide topo théorique sur la balistique, la comptabilité légale ou l'Histoire, accompagné d'exemples concrets d'élaboration d'indices me semble presque indispensable pour faire d'Esoterroristes LE jeu d'enquêtes pour spécialistes.


Un avis sur la forme

Well... J'ai été déçu par la traduction, très inégale, un peu cahoteuse et qui peine souvent à décoller de l'américain original, un peu buggée : certains termes changent au cours des pages, comme Stabilité et Equilibre mental, Entomologie et Entomologie légale, entre autres... Il y a également pas mal de coquilles, même en quatrième de couv. Niveau maquette, il y a un bel effort dans les fonds mais la police Times a un côté très cheap, surtout quand elle est aussi grande. J'ai remarqué pas mal de soucis dans le coulage des textes, c'est donc bof. J'ai lu quelque part que ce jeu aurait mérité un format réduit. Totalement d'accord, ça aurait cadré avec le principe du 'système portable' et aurait sans doute plus rendu justice aux illustrations - sympas sans plus - dont la finition moyenne souffre beaucoup des pleines pages et des grands formats. En réduisant leur taille, les illus et les fonds auraient eu une apparence plus dense et fine. Les gros effets photoshop et les coups de crayons qui donnent une impression d'inachevé seraient sans doute beaucoup mieux passés. On appréciera néanmoins le fait que les illustrations ont une cohérence avec le contenu et suivent les exemples. Très joli couv par contre, parfaitement dans le ton.


Une conclusion ?

Esoterroristes est porté par son système. Il met un très joli coup de projecteur sur nos petites manies de joueurs qui consistent à croire que la difficulté du scénario réside dans la réussite d'un jet de dé. Il propose une mise en oeuvre concrète de ce principe, sans sombrer dans le narrativisme et la construction collective totale, bien qu'il flirte avec cette idée, notamment en proposant au MJ de brandir une pancarte 'Scène' pour faire comprendre aux PJ qu'ils doivent arrêter de piétiner. Comme si les aventures des PJ étaient suivis par des millions de téléspectateurs et qu'il fallait les convaincre de revenir après la coupure pub. Le système est souple, clair, le livre se lit en un rien de temps, énorme avantage à mes yeux, mais contraint le MJ à un gros boulot de préparation pour ne pas se retrouver dans l'impasse. Dans d'autres systèmes, il est toujours possible de réussir avec un dé. Ici, sans compétence, pas d'indice, fin de l'histoire. Normalement... Développer des indices crédibles et intéressants est aussi un gros boulot. Le contexte est bateau et les conseils un peu ronflants sur la construction d'une enquête n'apportent pas grand chose. Ce qui manque, c'est bel et bien une trousse à outils technique permettant d'exploiter au mieux les compétences d'investigation. Quitte à se la jouer Experts, autant aller au bout.

Sethmes
Le Korrigan